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EN MANDCHOURIE

LES POPULATIONS DE MANDCHOURIE AU COURS DE LA DERNIÈRE GUERRE

« Honte à toi, esclave des diables étrangers ! Maintenant ta mine n’est pas fière et ton compte sera bientôt réglé. » C’est par ces mots peu aimables que mon mafou (palefrenier) était accueilli quotidiennement, quand il paraissait à cheval, derrière moi, dans les rues de Moukden. J’avais beau le presser de me traduire ce que lui disaient ses compatriotes ; il s’y refusait obstinément. Mais le Père Villemot, le missionnaire français, m’ayant éclairé, j’appris que le seul fait d’être à mon service, moi qui pourtant n’étais pas Russe, valait au Chinois des bordées d’injures.

C’était après la bataille de Liao-yang. Sous l’irrésistible poussée des Jaunes, l’armée européenne avait fléchi. Des milliers d’yeux curieux et narquois, les innombrables boutiquiers, debout sur le pas de leur porte, contemplaient avec béatitude le grouillement des cavaliers et des piétons, le défilé désordonné des voitures, les mines flétries et hâves des soldats qui avaient lutté pendant huit jours, toute la saleté, le désarroi de la retraite. Huit jours durant, vers le sud, les roulemens assourdis du canon prolongeaient l’incertitude et l’effroi. Les Russes se défendaient âprement. Mais une fois de plus la furie, la bravoure japonaise l’emportèrent et le Chinois, qui était sûr de cette victoire, se réjouissait davantage de ce qu’elle avait un peu tardé.

Mon mafou, qui vivait sans cesse avec l’armée russe, aurait dû être impressionné par cette masse imposante de fantassins, de cavaliers et de canons. Un homme non militaire, quand il