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son pays. Est-ce que vous croiriez que le Saint-Siège défend à un peuple quelconque de se servir des moyens que la loi lui permet ?… Vous exagérez à vos propres yeux la portée des décisions du siège apostolique, c’est-à-dire que vous ajoutez ce qu’il ne dit pas, et vous parvenez ainsi à vous rendre difficile, j’allais dire impossible, l’obéissance filiale. Non, le Saint-Siège ne se sépare pas des peuples ; bien au contraire, il est pour eux un centre commun d’union ; il embrasse également les rois et les peuples dans son affection, il l’étend sur les gouvernemens et sur les sujets et il leur prêche également à tous la justice et la charité[1] ; La séparation que vous supposez entre le Saint-Siège et les peuples est une conséquence fausse que vous déduisez de fausses prémisses. Calmez, je vous en conjure, par l’amour de notre commun maître et seigneur Jésus-Christ, cette agitation qui vous empêche de voir la vérité tout entière. Si vous rentrez en vous-même dans un état de calme, si, dans ce nouvel état, vous relisez vos propres écrits, vous retrouverez un chaos où la lumière céleste se trouve mêlée à des ténèbres infernales. Tantôt votre style semble enflammé du zèle d’un apôtre et, dans une autre page, vous prenez le ton d’un prophète du romantisme, sans ressentir, en vous jouant ainsi avec la parole de Dieu, une terreur salutaire de cette sentence qui caractérise les faux prophètes : Non mittebam eos et ipsi currebant. Vous vous retirez par moment loin de toutes les choses de la terre, et alors le ciel est votre patrie, et le dénuement du Seigneur sur la croix forme toutes vos richesses ; peu après, vous démontrez une sorte de patriotisme exclusivement national qui est bien différent de la charité chrétienne et vous parlez de finances, d’industrie, de commerce, comme si par le sacerdoce de Jésus-Christ vous aviez reçu la mission de vous occuper en entier des choses de cette terre. Ici vous mettez en avant la douceur de Jésus-Christ et vous reconnaissez la puissance irrésistible de la vertu et de la vérité ; ailleurs, au contraire, vous voulez tout opérer par la violence. Vous n’êtes jamais si éloquent que lorsque vous détestez la force brutale qui a toujours aspiré à se faire la reine du monde, et puis au lieu d’opposer à cette influence cette force cachée et toute spirituelle qui opère dans l’âme et qui conquiert le monde sans opposition, vous recourez à cette force brutale elle-même, et vous en parlez de

  1. O’Connel (Cf. son Éloge, par Lacordaire).