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un critique subtil. Et Chénier fut avant tout un admirable artiste.


Le vers du vieux Ronsard


La matière demeure et la forme se perd,


si juste pour le monde extérieur, ne saurait s’appliquer aux choses de l’esprit. La matière poétique est, à vrai dire, éternellement la même ; ce n’est que par l’invention d’images neuves que les poètes, de siècle en siècle, la renouvellent et la diversifient. Mais seule, la forme parfaite d’une œuvre peut en perpétuer la gloire.


Chaque jour mieux étudiée, l’œuvre d’André Chénier ne pourra qu’accroître sa gloire. Aucun poète n’a si voluptueusement et fièrement chanté la nature, la jeunesse, l’amour, les héros, les Dieux, la Justice et la Liberté. Nul, mieux que lui, n’a su faire siffler, autour de la tête horrible et belle de l’antique Furie, les vipères de la Vengeance. Les Bucoliques et les Iambes suffiraient à son immortalité. Mais il fut encore, avant trente ans, — génie précoce et fécond, — grand poète épique, lyrique, élégiaque et philosophique. Dans ses vers si nouveaux, il a concentré l’essence de l’antiquité, et il en a parfumé à jamais la poésie française. Il y tient la place que tenait à Rome celui qu’on a nommé le cygne de Mantoue. Aussi, lorsque ma pensée évêque l’ombre d’André Chénier et que dans ma mémoire chantent ses vers divins, mes lèvres involontairement murmurent ce beau nom fraternel : Virgile.


JOSÉ-MARIA DE HEREDIA.