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La ponctuation d’André Chénier est singulièrement personnelle ; à la fois méticuleuse et sommaire. L’emploi de la conjonction et est presque toujours exclusif de la virgule, que souvent même il omet au cours fluide ou précipité des énumérations où l’emporte sa fougue. Il fait, d’autre part, un usage très fréquent du point suspensif. Il en use et parfois il en abuse, pour mieux espacer les gestes et marquer les temps de l’action dramatique, comme dans ces vers du Malade :


C’est ta mère. Ta vieille, inconsolable mère
Qui pleure. Qui jadis te guidait pas à pas ;
T’asseiait sur son sein ; te portait dans ses bras
Que tu disais aimer…


Il faut remarquer, en comparant avec le texte de l’édition de 1819, la manière si caractéristique dont sont ponctués les quarante-quatre vers du combat des Lapithes et des Centaures, seul fragment autographe qui nous reste de l’Aveugle. Le vers y va par bonds, heurts, chocs et soubresauts. Il s’arrête, il reprend brusquement. Et, par son allure haletante, saccadée, en une suite de traits où sont accumulés et variés les artifices du plus admirable métier, il fait percevoir du même coup à l’œil, à l’oreille et à l’esprit tout le désordre furieux de cette héroïque mêlée.

Mais c’est surtout aux ellipses violentes, à ces latinismes hardis, aux souples inversions, aux dérèglemens de syntaxe où son libre génie s’irrite et se joue, qu’André Chénier, conscient de ses audaces, les a voulu plus indélébilement marquer par sa ponctuation. Elle est grossie à dessein, comme burinée. Il n’est plus besoin de loupe. Aussi, ces passages qu’ils auront jugés périlleux, ont-ils été remaniés ou défigurés par les éditeurs.

Quant à moi, dans tous les poèmes dont j’ai eu les originaux sous les yeux, j’ai toujours respecté, à moins qu’elle ne fût manifestement insuffisante ou fautive, la ponctuation du poète.


On a tenté d’établir une chronologie des œuvres d’André Chénier et de les distribuer dans les douze ou treize années de sa vie littéraire. Je n’essaierai pas, d’après la fraîcheur ou la décoloration de l’encre et le caractère si variable de son écriture, de déterminer les dates plus ou moins exactes de ses