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la portée de cette assertion, il est clair que nous avons tout intérêt à ce qu’elle ne subisse pas l’épreuve des faits, et que nous devons souhaiter autant et peut-être plus que personne le maintien prolongé de la paix entre nos deux voisins. C’est d’ailleurs ce que M. le prince de Bülow, dans une conversation qu’il avait récemment à Bade avec un rédacteur du Temps, M. Georges Villiers, faisait remarquer lui-même, et nous partageons sur ce point son sentiment. Aussi sommes-nous convaincus qu’aucune démarche de notre part ne nous a exposés au danger que nous voulions précisément éviter, et n’est-ce pas ce qui aurait pu arriver si nous avions conclu avec l’Angleterre une alliance contre l’Allemagne ? Mais l’Angleterre nous a-t-elle offert cette alliance ? Présentée dans ces termes, l’affirmation du Matin est vraisemblable et nous sommes surpris de l’importance qu’on y a attachée.

Nous en serions surpris quand bien même, toute question de forme mise à part, il y aurait là un fond de vérité. Et, en effet, pourquoi s’émouvoir ? pourquoi s’irriter ? pourquoi s’indigner ? Ce que ni l’Angleterre ni nous n’avons fait, n’avions-nous pas le droit de le faire ? Presque toutes les puissances de l’Europe sont engagées aujourd’hui dans des alliances défensives qui ont pour objet avoué de se prêter un mutuel appui contre l’agression éventuelle de certaines autres. A-t-on jamais vu là un danger pour la paix ? Nullement : on n’a pas cessé de dire, au contraire, que l’équilibre de forces qui résultait de ces alliances symétriques était la meilleure garantie de son maintien, et les faits jusqu’ici ont confirmé cette assertion. Il faut l’extraordinaire nervosité de l’heure présente pour dénier à l’Angleterre une faculté dont toutes les autres puissances ont usé, et nous nous demandons en quoi elle aurait compromis la sécurité de l’Europe parce qu’elle en aurait usé à son tour. Nous reconnaissons si ‘on veut que, dans le cas actuel, la précipitation avec laquelle l’Angleterre se serait engagée avec nous aurait été de sa pari la reconnaissance d’un danger immédiat qui serait venu de l’Allemagne. Celle-ci pourrait en être, dans une certaine mesure, offusquée ; mais de là à y voir une offense, et surtout une menace, il y a loin. Quoi qu’il en soit, l’Allemagne peut se rassurer. Le récit du Matin ressemble trop à un roman diplomatique pour n’en être pas un, au moins en partie. Mais, en vérité, on donne en tout cela trop de valeur aux alliances écrites, aux traités couchés sur le papier. Il y a quelque chose de beaucoup plus puissant et de beaucoup plus efficace, c’est l’intérêt commun à plusieurs puissances lorsqu’il se présente à elles