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parce qu’il faut toujours se garder de jeter de l’huile sur un feu qui tend à s’assoupir et qu’on voudrait voir s’éteindre tout à fait. Aussi n’aurions-nous point parlé des confidences que Le Matin a faites à grand fracas à ses lecteurs, si elles n’avaient pas produit à l’étranger, et notamment en Angleterre et en Allemagne, une émotion beaucoup plus vive qu’en France même. On n’a guère paru s’en servir chez nous qu’en vue de polémiques de partis ou de personnes, les uns pour et les autres contre M. Delcassé.

M. Delcassé, a-t-on dit, a donné sa démission le 6 juin dernier, parce que ses collègues du ministère n’ont pas été d’avis, comme lui, d’accepter sous la forme d’une alliance défensive l’offre que nous aurait faite l’Angleterre de nous donner son appui militaire dans une guerre éventuelle avec l’Allemagne. On ne croyait d’ailleurs cette guerre vraisemblable ni à Paris, ni à Londres. Les offres de l’Angleterre auraient même été si loin, elles auraient eu un caractère si précis, qu’il aurait été question pour elle de débarquer 100 000 hommes dans le Schleswig-Holstein. Ce dernier détail, hâtons-nous de le dire, tient de la fantaisie, et nous n’avions besoin d’aucune dénégation pour n’y ajouter aucune foi : il suffirait même pour nous tenir en suspicion contre tout le reste. Naturellement, la presse anglaise s’est inquiétée de ces révélations. Elle s’est demandé quelle parcelle de vérité elles pouvaient contenir, et, dans l’absence de renseignemens certains, les journaux ont raisonné suivant les apparences, ceux-ci dans un sens, ceux-là dans un autre. Quant à la presse allemande, elle s’est émue plus fortement encore, et elle a aussi raisonné et déraisonné beaucoup ; mais elle a considéré comme vraies les révélations du Matin, afin de se tourner avec un renouveau de violence contre la politique de M. Delcassé, et surtout afin de montrer que l’Allemagne avait couru un grand danger. Elle a affecté de voir là, et peut-être était-ce son jeu de le faire, la justification de ce que sa propre politique avait eu parfois contre nous de rude et de brutal. Par-dessus tout, elle s’est déchaîné » ; contre l’Angleterre, qui l’aurait gratuitement menacée et provoquée, et aurait par là témoigné une fois de plus de ses sentimens ennemis. On ne saurait trop regretter que cette publication intempestive ait servi de prétexte à une recrudescence d’acrimonie entre deux pays dont le désaccord, s’il venait à s’accentuer et à faire éclat, serait certainement un grand danger pour la tranquillité de l’Europe. Combien de fois ne nous a-t-on pas dit, depuis quelques mois, que, si un conflit venait à éclater entre eux, nous y serions fatalement et obligatoirement entraînés ? Sans examiner aujourd’hui