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officiers, enfin quelques bagarres. Mais c’est à Paris, comme il convient, qu’a eu lieu la manifestation principale, sous la forme de deux affiches qui ont été placardées sur les murs extérieurs de la Bourse du travail et répandues à profusion. On y rappelle aux jeunes conscrits qu’ils vont abandonner tout ce qui leur est cher, « famille, amis, amante, pour revêtir l’infâme livrée militaire » et se voir « embrigader dans le troupeau de brutes auxquelles on apprend l’art de tuer. » Les casernes sont qualifiées de « bagnes déprimans. » L’affiche continue ainsi : « La patrie bourgeoise qui vous réclame des années de servitude et qui exige au besoin le sacrifice de votre existence, n’a jamais été pour vous qu’une marâtre. Vous ne lui devez ni dévouement ni obéissance. Quand on vous commandera de décharger vos fusils sur vos frères de misère, comme cela s’est produit à Chalon, à la Martinique, à Longwy, travailleurs de demain, vous obéirez : vous tirerez, mais non sur vos camarades. Vous tirerez sur les soudards galonnés qui oseront vous donner de pareils ordres. » Quand donc ces ordres ont-ils été donnés ? Ce qui caractérise l’attitude de nos officiers les jours de grève, c’est le plus admirable sang-froid. Loin d’exciter les soldats, ils les retiennent. Ils subissent sans s’émouvoir les injures, les outrages, les coups, et ils imposent la même réserve à leurs troupes. Mais à quoi bon insister ? Revenons à l’affiche de la Bourse du travail. On dira peut-être que, jusqu’ici, il n’y a été fait allusion qu’à la guerre civile, à la lutte fratricide entre enfans d’un même pays ; mais que, s’il s’agissait de guerre étrangère, le langage serait différent. Qu’on en juge donc ; voici la suite du morceau. « Quand on vous enverra à la frontière défendre le coffre-fort des capitalistes contre d’autres travailleurs comme vous l’êtes vous-mêmes, vous ne marcherez pas. Toute guerre est criminelle. A l’ordre de mobilisation répondez par la grève immédiate et l’insurrection. » L’affiche portait d’assez nombreuses signatures, et dans le nombre celle de M. Laurent Tailhade qui a déclaré le lendemain ne l’avoir pas donnée et l’a par conséquent retirée. M. Urbain Collier n’a pas retiré la sienne. Il a déclaré seulement, dans une lettre à un journal, que, s’il était poursuivi en cour d’assises, il y appellerait à son tour comme témoins à décharge tous les hommes politiques, tous les chefs des partis socialiste et radical socialiste, tous les amis et partisans du dernier ministère qui, par leur conduite et par leurs écrits, ont encouragé la propagande à laquelle il s’est contenté de s’associer. S’il en est ainsi, le procès sera instructif.

La gravité de cette affaire n’est pas, en effet, dans l’imprudence de