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publiques, qui a été, il y a quelques années, le principal auteur des grèves de Montceau-les-Mines et du Creusot. Il était l’organe des revendications ouvrières les plus démesurées, et en prédisait d’ailleurs la réalisation prochaine au moyen de la révolution sociale. Il avait une action incontestable sur les masses. Les malheureux ouvriers l’applaudissaient sans bien le comprendre ; les femmes pleuraient en l’écoutant ; sa prestance et son geste dominaient et entraînaient son auditoire. Après avoir fait ainsi quelque bruit, M. Maxence Roldes a cessé d’en faire : peut-être cherchait-il une autre voie. Il l’a trouvée, et elle l’a conduit à l’endroit du monde où on se serait le moins attendu à le voir subitement émerger, dans le cabinet de M. le ministre de la Guerre. Il a fallu, à la vérité, pour opérer ce miracle un ministre comme M. Berteaux. D’où lui est venue cette étrange bienveillance pour M. Maxence Roldes ? Sans doute il n’a pas voulu lui enseigner l’art de la guerre, mais peut-être a-t-il voulu apprendre de lui l’art de parler au peuple et de le remuer par certains mots. Ses amis ont expliqué qu’un grand nombre d’arsenaux dépendant de la Guerre, il était bon d’avoir auprès du ministre un spécialiste des questions ouvrières. Étrange spécialiste que M. Maxence Roldes ! Plus étrange conseiller ! Un tel choix suffit pour éclairer profondément la psychologie du ministre qui l’a fait. On l’ignorait toutefois, et il a fallu le voyage de Longwy pour le découvrir. M. Berteaux a envoyé au-devant de lui M. Maxence Roldes, avec mission de lui préparer le terrain. Un tel précurseur a fait exactement la besogne qu’on devait attendre de lui. Dès que M. Berteaux est apparu à Longwy, il a été entouré par les grévistes qui lui ont fait une réception enthousiaste. Ils ne s’étaient jamais vus à pareille fête. Un ministre, et quel ministre ! celui de la Guerre, le chef de ces officiers et de ces soldats dont ils croyaient avoir à se plaindre, venait en personne les rassurer et les venger. Aussi ont-ils défilé devant lui, en chantant quoi ? La Marseillaise ? Oh ! non, mais la Carmagnole et l’Internationale. On se souvient que le général André — lui-même ! — avait refusé d’entendre l’Internationale parce qu’elle contient un couplet qui conseille aux soldats de réserver leurs balles pour tirer sur les officiers. M. Berteaux n’a pas de ces scrupules. Il a dit plus tard à un journaliste qu’il n’avait pas écouté ce qu’on chantait. C’était sans doute, a-t-il supposé, un air de circonstance ; mais était-ce la Carmagnole ? était-ce l’Internationale ? il n’en savait vraiment rien. Il ne s’est pas préoccupé davantage de savoir quel drapeau on portait devant lui, ministre de l’armée. Il était rouge, lui a-t-on assuré depuis. — Ah ! vraiment, a-t-il répondu : n’était-ce pas la