Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/951

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui-même, ou encore d’avoir, par distraction, dans nombre de villes, négligé de visiter des monumens qu’il aurait dû nous décrire. Ces monumens sont, en général, des universités, des écoles, et d’autres institutions qui n’auraient eu à lui offrir que des jouissances sévères : tandis qu’il s’est bien gardé de manquer jamais une foire, une fête publique, ou la parade d’un faiseur de tours. A Venise, comme je l’ai dit, il s’est fait un devoir d’entrer dans la maison d’une courtisane : non pas de celle qui, du haut de son balcon, lui a jeté des pommes à la tête, mais d’une autre, cette charmante Marguerite-Emilienne dont il a tenu à nous dessiner le portrait, grande et mince, la gorge nue sous deux rangs de colliers, et accueillant son hôte d’un geste de princesse. Longuement il nous détaille les toilettes de la dame, ses meubles, ses bijoux, et l’agrément orné de son entretien. Mais à peine a-t-il fini qu’il s’épouvante de son audace, et, non moins longuement, s’ingénie à dissiper les mauvais soupçons du lecteur.


Ainsi je t’ai décrit les courtisanes de Venise : mais, parce que je t’ai rapporté sur elles tant de détails que peu d’Anglais qui ont vécu à Venise pourraient t’en rapporter autant, — ou du moins, à supposer qu’ils le puissent, ils se garderont bien de le faire, de retour chez eux, — l’idée me vient que tu vas m’accuser d’immoralité, et, dire que je ne connaîtrais pas tous ces sujets sans une expérience personnelle. A quoi je répondrai que, encore bien que j’eusse pu les connaître sans une expérience personnelle, cependant, pour me mieux satisfaire, je suis allé dans une des nobles maisons de ces femmes, — oui, je le confesse ! — afin de voir leur manière de vivre, et d’observer leur conduite. Mais je ne l’ai pas fait avec l’intention qui a conduit autrefois Démosthènes chez Laïs, et au contraire, plutôt, comme nous lisons que l’ermite Paphnuce est allé chez Thaïs, — bien que je ne me flatte point que mes discours aient eu le même effet salutaire que ceux de Paphnuce… En conséquence de quoi, je le requiers avec instance, très candide lecteur, de me juger aussi charitablement, quoique je l’aie décrit tout au long une courtisane vénitienne, que je te jugerais moi-même sur pareille requête !


Ainsi s’amuse, et nous amuse, ce grand enfant, « si doux et si plein d’innocence, que son plus haut savoir luy est comme ignorance. » Protestant zélé, il essaie d’abord de se défendre contre le charme poétique et l’émouvant ; e beauté des cérémonies de ce culte « papiste » qu’on lui a appris à haïr par-dessus toutes choses. A Paris, notamment, s’étant logé chez un huguenot « blessé dans les guerres civiles, » et dont l’âpre ferveur aura sans doute stimulé la sienne, il ne tarit pas en sarcasmes et en imprécations anti-catholiques : Notre-Dame même lui paraît aussi laide que lui a paru belle, l’avant-veille, la cathédrale