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Nouveau Ulysse à pié, dont les voyages longs
Ont bien montré qu’il a l’esprit jusqu’aux talons,
Voire jusqu’aux souliers, tant cette âme benoiste
Se délecte d’emplir un double cuir de beste.


L’ingénieuse idée de Coryat eut-elle vraiment le succès qu’il, en avait espéré ? Je le croirais d’autant plus volontiers que libraires et public, à cette heureuse époque, préféraient le moindre recueil de vers, même en latin ou en « langue utopienne, » à la prose anglaise la plus amusante. Du moins est-il que, trois ans après son retour, en 1611, le « pédestrissime » touriste trouva simultanément deux imprimeurs, dont l’un, T. Thorp, consentit à publier la série des Poèmes Panégyriques, tandis que l’autre, William Stansby, imprima tout ensemble et les susdits poèmes et l’ouvrage en prose qu’ils s’accordaient à louer. En un gros volume de près de 700 pages parurent donc, cette année-là, les Crudités de Coryat, hâtivement gobées pendant cinq mois de voyage en France, en Savoie, en Italie, en Rhétie, communément appelée le Pays des Grisons, en Helvétie ou Suisse, en quelques parties de la Haute-Allemagne et des Pays-Bas ; digérées ensuite dans l’air apéritif d’Odcombe en Somerset ; et maintenant dispersées pour l’aliment des sujets de ce royaume qui veulent voyager, par Thomas Coryat.

Le volume était illustré de quelques gravures, dessinées par l’auteur lui-même ou d’après ses indications, et représentant les objets qui, dans son voyage, l’avaient frappé le plus vivement. Les deux principales figuraient le fameux tonneau de Nuremberg, avec Coryat debout au sommet, un bocal en main, et la mémorable entrevue de Coryat, à Vienise, avec la belle courtisane Marguerite-Émilienne. Mais surtout l’effort graphique de l’auteur s’était employé au frontispice du livre, où, autour du titre singulier que je viens de traduire, il avait disposé une série de petites images reproduisant, ou plutôt symbolisant, les incidens les plus notables de son expédition, depuis les effets produits sur lui, entre Douvres et Calais, par le mal de mer, jusqu’à la mésaventure qui lui était arrivée à Venise, lorsque son gondolier, sous prétexte de n’avoir pas compris ses instructions, l’avait conduit dans la maison d’une « femme irréligieuse, » et que celle-ci, devant son refus de monter chez elle, lui avait lancé à la tête une pluie de pommes.

Et sans doute l’audacieux William Stansby n’eut pas à regretter de s’être risqué dans cette aventure : car le livre fut aussitôt très favorablement accueilli, et ne cessa point, depuis lors, d’être réimprimé pendant plus d’un siècle. Puis, à mesure que l’habitude des