têtu, jusqu’au jour où l’austérité qui faisait sa force va se fondre au contact des voluptés asiatiques ; l’homme de la Renaissance, uniquement soucieux d’art et de vie ornée. Voici le calme de la retraite où le sage antique trouvait le bonheur dans la modération de ses vœux ; et voici cette fièvre de l’or qui pousse à la conquête des terres inconnues les modernes Argonautes. Ici brille la lumière intense qui incendie l’Orient et les Tropiques ; ici passe le sourire ou la mélancolie de nos ciels d’Anjou, de Bretagne. Chaque époque et chaque pays nous est montré sous sa couleur vraie, et non par des aspects généraux et vagues, mais par des traits particuliers qui l’individualisent. C’est une autre forme de la naïveté : la savante bonne foi.
Ainsi se trouve atteint le but que les romantiques s’étaient proposé, mais que, par leur faute, ils avaient manqué. Ils avaient beaucoup parlé de pittoresque et de couleur locale : et ils avaient voulu substituer, à l’étude toute classique de ce qui dure, la peinture de ce qui est relatif et changeant. Ils nous ont apporté le sens de l’histoire et celui de la couleur. Mais cette histoire ils ne se sont pas bornés à y transporter tous leurs partis pris, leurs sympathies et leurs colères ; ils ont cru qu’ils pouvaient l’inventer de toutes pièces. Cette couleur, ils ont pensé que ce devait être celle de leur imagination et de leurs rêves. Jamais ils n’ont avancé un fait qui ne fût erroné, une date qui ne fût fausse, un renseignement qui ne fût controuvé. Et la remarque s’applique aux plus grands d’entre eux, puisque nulle part elle ne se vérifie mieux que dans la Légende des siècles et dans les Orientales, Ils ont été les poètes de l’anachronisme et de l’a peu près, ce qui ne les a pas empêchés d’être par ailleurs de très grands poètes. Mais pour réaliser cette partie de leurs promesses, il leur a manqué la soumission et la docilité au vrai.
Est-ce à dire que la poésie impersonnelle nous dérobe la personnalité du poète ? Mais qui donc s’est peint dans son œuvre avec un relief plus intense et une plus frappante ressemblance que l’auteur des Trophées ? Celui-ci est, dans toute la force du terme, l’humaniste. Comment s’explique ce phénomène, et tient-il à quelque mystère de l’atavisme, je laisse à d’autres le soin d’en décider. Est-ce ici qu’il faut se rappeler l’ancêtre conquistador et mettre en ligne les qualités de la race latine semblable à elle-même à travers les pays et les temps ? Ce qui est certain, c’est que la patrie de son imagination n’était pas dans notre XIXe siècle. C’était un contemporain de Théocrite, de Virgile et d’Horace qui, en vivant parmi nous et revêtant quelques-unes de nos modernes habitudes de pensée, n’avait en rien