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deur ranimée de ses premières amours. Alors Nietzsche jeta ce cri fameux, devenu sa devise, et dont les plus belles, les plus chaudes pages du Cas Wagner et des œuvres qui s’y rapportent ne sont qu’une paraphrase exaltée : « Il faut méditerraniser la musique. » Et voici la musique, — aussi contraire que possible à celle de Wagner, — qu’il voulut désormais, ou qu’il rêva : « En admettant que quelqu’un aime le Midi comme je l’aime, comme une grande école de guérison de l’esprit et des sens, comme une excessive abondance de soleil et de transfiguration qui s’étend sur une existence souveraine, ayant foi en soi-même, eh bien ! celui-là apprendra un peu à se mettre en garde contre la musique allemande, puisqu’en lui gâtant à nouveau le goût, elle lui gâte en même temps la santé. Un tel homme du Midi, non d’origine, mais de foi, devra, s’il rêve de l’avenir de la musique, rêver aussi qu’elle s’affranchisse du Nord. Il faudra qu’il ait dans ses oreilles le prélude d’une musique plus profonde, plus puissante, peut-être plus méchante et plus mystérieuse, d’une musique supra-allemande qui, à l’aspect de la mer bleue et voluptueuse et de la clarté du ciel méditerranéen, ne s’évanouisse, ne pâlisse et ne se ternisse point, comme le fait toute musique allemande ; d’une musique supra-européenne qui garderait son droit, même devant les bruns couchers de soleil au désert, dont l’âme serait parente aux palmiers, et qui saurait demeurer et se mouvoir parmi les grands fauves, beaux et solitaires. »

Je me trompais tout à l’heure. Nietzsche fit mieux que rêver cette musique. Il la trouva, réelle, vivante, et ce fut chez nous. Le Cas Wagner, on le sait, commence par une éclatante apologie de Bizet et de Carmen. Avec une ferveur de néophyte, Nietzsche immole au seul chef-d’œuvre de Bizet le répertoire de Wagner tout entier. Si grand que soit le musicien de France, l’honneur est un peu grand pour lui. S’il eût vécu, le premier sans doute il eût refusé le trop glorieux holocauste. Mais Nietzsche ne faisait ou ne pensait jamais rien à demi. Contre le génie allemand, une fois de plus vainqueur, il avait appelé de tous ses vœux une renaissance, une revanche du génie latin. Carmen en était le signal et comme les brillantes prémices ; à l’œil impatient du philosophe, elle en parut l’effet ou l’accomplissement intégral, et dans une seule hirondelle Nietzsche salua tout le printemps. « Cette musique de Bizet me semble parfaite. Elle approche avec une allure légère, simple, polie. Elle est aimable,