tesse un des caractères essentiels. C’est une belle page à la fois d’histoire et de critique musicale. La musique, écrit Nietzsche, ne s’était longtemps appliquée « qu’à des états permanens de l’homme, à ce que les Grecs nomment éthos, et elle n’avait commencé qu’à partir de Beethoven à essayer le langage du pathos, c’est-à-dire de la volonté passionnée, des événemens dramatiques qui se succèdent dans le cœur humain. »
Ayant ainsi tracé comme une ligne de partage entre les deux versans de notre art, Nietzsche analyse la musique d’éthos. Il étudie les formes qu’elle s’était données, qui lui convenaient et qui longtemps lui suffirent. Mais après que l’art éthique eut exprimé par des représentations multiples ces états, divers et nombreux, mais fixes, il tomba dans une sorte d’épuisement, dont ne le put sauver la merveilleuse imagination de ses maîtres. Beethoven le premier fit parler à la musique le langage, interdit jusque-là, de la passion. Pourtant, à l’originalité de son style, des restes de tradition continuèrent de se mêler. Contre l’élément nouveau, pathétique, l’ancien, l’éthique, se défendait encore. Beethoven, au dire de Nietzsche, — et cela n’est pas mal dit, — Beethoven excelle à décrire la courbe générale d’un sentiment ou d’une passion, à en marquer les principaux jalons et les points de repère successifs. Il était réservé à Wagner de remplir en quelque sorte les intervalles. « À cet effet il eut besoin de répudier la partialité et les prétentions de l’ancienne musique des états permanens. » Il les répudia donc et, le premier peut-être, il exprima du sentiment, ou de la passion, ou de l’âme, beaucoup moins l’état ou les états durables, que l’évolution ininterrompue et l’éternel devenir.
Cela, pour le coup, est la vérité même. Et ce n’est plus seulement une vérité de l’ordre philosophique, ou littéraire, ou poétique. Nietzsche sort ici des considérations générales, ou plutôt il les dépasse. Il entre dans le vif, il pénètre jusqu’au centre du génie proprement musical de Wagner. À l’étude de la poetical basis, comme disent les critiques anglais, il ajoute l’examen de la practical basis et sur l’un et l’autre fondement on pourrait croire sa doctrine assurée pour toujours.
Mais à peine l’a-t-il établie, — et avec quelle ardeur ! — qu’avec une ardeur au moins égale on va le voir l’ébranler et la détruire.