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accordera aussi le grand regard dont nous avons besoin pour contempler l’événement de Bayreuth, et de ce regard seul dépend le grand avenir de cet événement. »

Il voit, ce « grand regard, » plus loin que « cet événement. » Il en découvre d’autres, suites nécessaires et bienfaisantes d’un principe que peut-être elles dépassent ou débordent encore. Les flots que Wagner a fait jaillir de la colline, vont se répandre sur le monde entier et sur la vie universelle en ondes infinies. « Il n’est pas possible de rendre à l’art théâtral son efficacité dans toute sa force et toute sa pureté, sans innover en même temps partout, dans les mœurs et dans l’État, dans l’éducation et dans les rapports sociaux. L’amour et la justice étant devenus puissans sur un point, qui serait dans ce cas le royaume de l’art, il est de nécessité absolue qu’ils se propagent et gagnent du terrain; ils ne peuvent rentrer dans l’immobilité de leur précédent état de chrysalides. »

Il n’y a pas une théorie, pas une tendance plus étrangère, plus odieuse même à Nietzsche, pas une dont il craigne autant pour Wagner et le wagnérisme le soupçon injurieux, que la conception ou le faux idéal de l’art pour l’art. Il veut, au contraire, et dans l’œuvre de Wagner il voit l’art pour l’âme, pour l’âme tout entière et pour toutes les âmes, pour celle de, l’individu et pour celles de la foule. Cette esthétique, — où tant d’éthique, individuelle et sociale, se mêle, — n’est autre que celle de la Grèce. Ici, beaucoup plus que dans l’Origine de la tragédie, Nietzsche a vraiment rêvé les plus nobles rêves d’Hellas.

Il a repris également ici la définition et l’analyse de l’esprit tragique ou dionysiaque. Il a montré cet esprit animant l’œuvre entière de Wagner, et, pour le mieux glorifier, artiste et poète autant que philosophe, il s’en est lui-même inspiré. « Tout cela, dit-il, après avoir énuméré les diverses facultés esthétiques du maître, tout cela constitue le dramatiste dithyrambique, si l’on donne à ce terme une acception assez vaste pour y comprendre l’artiste dramatique, le poète et le musicien ; notion qui se déduit nécessairement d’Eschyle et des artistes grecs ses contemporains, ce seul exemple parfait du dramatiste dithyrambique avant Wagner. »

Quelques pages plus haut, Nietzsche avait donné de l’idéal de la tragédie, qu’il croyait voir renaître, une originale et vraiment pathétique définition. La tragédie selon lui, doit nous