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chant du cygne, » il est possible que Nietzsche ait résumé l’une des grandes lois historiques de notre art.

Mais tout cela n’est rien ou n’est que peu de chose. En dehors de l’action et de la réaction wagnérienne, on ne peut saisir de la figure musicale de Nietzsche que les détails secondaires et les élémens épars. C’est par rapport à Wagner, pour lui d’abord, ensuite contre lui, qu’il faut, comme en un faisceau, les ramasser et les maintenir.

Nietzsche fit la connaissance de Wagner à Leipzig, en 1868. Le premier était âgé de vingt-quatre ans ; l’autre de cinquante-cinq. L’admiration et l’amitié, comme l’amour, ont leurs coups de foudre. Au premier regard, aux premiers mots, le jeune philosophe reconnut son maître, presque son dieu. De 1869 à 1872, Nietzsche ne fit pas à Wagner, en sa retraite de Triebschen, près de Lucerne, moins de vingt-trois visites et durant cette période, même séparés l’un de l’autre, ils vécurent, a-t-il dit, en commun pour les grandes et pour les petites choses, par l’esprit autant que par le cœur.

À la fin de 1871, Nietzsche publia son premier livre important : L’origine de la tragédie. Dédiée à Richard Wagner, l’œuvre n’est guère, en grande partie et au fond, qu’une apologie, une apothéose de la musique allemande et surtout de la musique de Wagner. Nietzsche y soutient cette thèse, que la tragédie antique est née de la musique et que la tragédie moderne vient d’en sortir à son tour sous la forme ou sous les espèces du drame wagnérien.

Il y aurait beaucoup à raisonner sur et peut-être contre une théorie qui nous présente la tragédie, autrement dit la poésie, autrement dit la parole, comme procédant de la musique au lieu que la musique en procède. Il résulterait de là qu’on doit mettre et qu’on met en effet non pas des paroles en musique, mais au contraire de la musique en paroles. Et cela seul, — sans entrer plus avant dans une question qui n’est pas simple, — s’accorderait assez mal avec la croyance ou la foi, — pourtant wagnérienne, — en la prédominance du poème sur la musique et du mot sur le son.

L’auteur de l’Origine de la tragédie aborde encore d’autres et de non moindres problèmes. L’un des principaux a pour objet le concours, ou le conflit, en un mot les relations réciproques, dans la civilisation des Hellènes et dans la nôtre, dans la tragédie