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actuel de la marine marchande américaine. Mais il est bien certain que la navigation de concurrence sous pavillon américain s’accroîtrait rapidement par suite des faveurs spéciales dont elle bénéficierait. Au lieu de faire 10 pour 100 du trafic avec l’étranger, la Commission déclare elle-même qu’elle devrait en obtenir au moins les deux tiers. Ce n’est plus alors 12 millions de primes directes qui lui seraient acquises, mais bien 80 millions. Prudemment, le rapport de la Commission évite de faire ce calcul, mais il en fournit les élémens.

On peut donc affirmer sans aucune exagération que, si le projet de loi de la Commission est adopté par le Congrès, — ce qui paraît probable, étant donné que la Commission est elle-même l’émanation du Congrès, — l’ensemble des dépenses consacrées chaque année à la marine marchande par le gouvernement fédéral sous forme de primes directes, de subventions postales ou de remises de droits dépassera 100 millions de francs d’ici à quelques années. Aucune nation ne consent de sacrifices aussi lourds pour relever ou pour soutenir sa marine nationale de commerce.

Et cette protection intense n’est pas de nature à produire aux États-Unis les funestes effets que des mesures du même genre ont amenés parfois dans certains pays et pour certaines industries. Il n’apparaît pas que jusqu’ici, le « mol oreiller » de la protection ait invité au sommeil les énergies actives hardies et entreprenantes des Yankees. La législation douanière américaine a joué plutôt le rôle d’un abri tutélaire pour les industries qui se sont développées si magnifiquement aux États-Unis depuis la guerre de Sécession. C’est que la concurrence intérieure était trop vive pour que le sentiment dangereux d’une fausse sécurité pût se faire jour. Personne, aux États-Unis, ne compte sur la pérennité d’une situation acquise ; le pays tout entier est emporté dans un mouvement trop rapide pour que l’avance gagnée garantisse le vainqueur momentané de la course contre la victoire prochaine d’un coureur plus agile. De plus, l’esprit d’invention est constamment sollicité par le taux élevé des salaires et par l’immense bénéfice que procure, en conséquence, toute économie de main-d’œuvre. Plus les exigences de la main-d’œuvre augmentent, plus des machines ingénieuses viennent réduire son domaine, plus le profit qu’en tire l’industrie est grand. Dans l’industrie très spéciale des transports par eau, on