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peu de temps âpres, en décembre 1793, le même Jefferson s’adressant à la Chambre des représentans expliquait que ces primes avaient non seulement pour but de favoriser l’industrie de la pêche, mais de former des marins tant pour la flotte de commerce que pour la flotte de guerre. « Les États-Unis, ajoutait-il, n’ont rien à craindre sur terre, ni rien à désirer au-delà de leurs droits actuels. Mais sur le littoral ils peuvent être inquiétés (they are open to injury)[1]. » Il n’en fallait pas tant pour calmer les scrupules constitutionnels de la Commission. Désormais, elle n’avait plus à se préoccuper que de la modalité, de la fixation et de l’attribution des primes dont elle adoptait le principe.

Certaines propositions développées devant elle tendaient à créer une double prime, l’une pour le constructeur, l’autre pour l’armateur. Ce système est tout naturellement indiqué lorsque la législation reconnaît à l’armateur le droit de faire naviguer sous pavillon national un navire construit à l’étranger. Au contraire, il paraît inutile quand ce droit lui est refusé. Du moment qu’il doit nécessairement s’adresser aux chantiers américains, ceux-ci exercent vis-à-vis de lui un monopole collectif qui leur permet de lui faire payer un prix très majoré. C’est là la plus énergique des protections et la plus large des faveurs. Il n’y a pas lieu d’en ajouter une autre. Il suffit de consentir aux armateurs des avantages assez considérables pour les décider à commander et à faire naviguer des navires payés très cher.

Le système de la double prime conserve cependant un avantage, celui d’imposer un moindre sacrifice à l’Etat pour un même résultat acquis. En donnant directement au chantier la somme nécessaire pour combler l’écart entre ses prix de vente et les prix étrangers, le gouvernement des Etats-Unis aurait mis l’armateur américain à même de se procurer son outil dans les mêmes conditions que son concurrent étranger ; par suite, il lui aurait évité les charges d’amortissement et d’assurance supplémentaires que lui impose aujourd’hui le prix majoré de son navire, et qui pèsent lourdement sur ses frais d’exploitation. Il n’aurait donc pas eu une somme aussi forte à verser à l’armateur pour compenser l’infériorité résultant pour lui de l’énormité de ces frais.

  1. Cité par le Report, p. 24 et 25.