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prêtez tout ce qui vous a fait plaisir ; et, avec moi, c’est l’autre excès, l’oubli, la négligence, le refus. Il y a trois mois que vous m’avez promis un livre qui est à vous, et que j’ai dû emprunter à un autre. Sans doute, il vaut mieux que cette manière désobligeante tombe sur moi ; cela n’est que juste ; aussi je ne me plains que de l’excès. » Ce n’est encore que de l’aigreur ; voici maintenant le désespoir : « Dans le moment[1]où vous lirez ceci, je parie que vous aurez déjà reçu un billet où l’on vous dit :


Je regrette pour toi les transports de mon cœur :
Montsauge manquera toujours à ton bonheur !


Ah ! mon Dieu, croyez-la, rendez-lui le repos et, s’il est possible, soyez heureux. C’est le souhait, c’est le désir de la malheureuse créature qui a toujours sous les yeux cette inscription affreuse de la porte de l’Enfer : En entrant ici, on laisse toute espérance. »

Que sera-ce lorsque, au mois de mai, Guibert s’absentera quelques jours pour aller faire visite, en son château de la Bretèche, à celle qui inspire à Julie tant de frayeur et tant de haine ! Cette brève séparation était, depuis la soirée fatidique, la première entre les amans ; elle blessa cruellement Julie. Elle qui, lorsqu’ils se voient presque quotidiennement, ne peut se retenir de lui écrire à tout propos, s’abstient de lui adresser un seul mot tandis qu’il est éloigné d’elle, et elle en laisse entendre le motif dans ces lignes, pleines d’amertume, qu’il trouve le jour de son retour : « Ne me faites pas prononcer pourquoi je ne peux pas vous écrire où vous êtes. Je n’ose m’en avouer à moi-même la raison ; c’est une pensée, un mouvement, auquel je ne veux pas m’arrêter ; c’est un genre de supplice qui me fait horreur, qui m’humilie, et que je n’avais jamais connu[2] !… » L’entrevue du lendemain amène la première scène d’une liaison qui sera bientôt si féconde en orages. Julie s’emporta sans mesure et Guibert répondit par la sécheresse et le dédain ; c’est tout au moins ce que semble indiquer ce billet[3], qui suivit de près la querelle : « Dimanche, minuit. — Vous avez donc oublié, vous avez laissé là cette furie, folle et méchante tout ensemble ! La

  1. Lettre de 1774. — Archives du comte de Villeneuve-Guibert.
  2. Lettre de mai 1774. — Édition Asse.
  3. Lettre de mai 1774. Ibidem.