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Villa Hermosa, et ils revinrent de compagnie dans la capitale espagnole. Là le repos, les bons soins, l’air natal, amenèrent une amélioration. Mais une dure épreuve l’attendait : plus malade encore que son fils et déclinant avec rapidité, la comtesse de Fuentès réunissait ses forces expirantes pour lutter contre la passion qui dévorait son premier-né. Aux instances de Mora pour obtenir qu’elle consentît à son mariage avec Julie, elle répondait par des refus formels. La jeune duchesse de Villa Hermosa, dont la dévotion redoutait pour son frère l’influence, ainsi qu’elle disait, de l’« astucieuse Française, » encourageait sa mère dans cette résistance obstinée[1] : « J’ai le pressentiment, écrivait Julie justement inquiète, que Mme de Villa Hermosa empoisonnera le reste de ma vie. Au moins qu’elle n’empoisonne pas la sienne[2] ! » Ces discussions, ces querelles de famille, la déception de voir ses projets ajournés, jetaient Mora dans un vrai désespoir, sans ébranler pourtant la fidélité de son cœur : « J’en ai eu dix pages qui m’ont pénétrée de tendresse et de douleur, dit encore son amie[3]. Il est bien plus malheureux que moi ; il sait bien mieux aimer ; il a bien plus de caractère. En un mot, il a tout ce qu’il faut pour être le plus malheureux et le plus aimé des hommes. »

Emportées par leur zèle, la mère et la sœur de Mora en arrivaient bientôt aux moyens violens. Elles abusaient de la faiblesse qui confinait le convalescent dans sa chambre pour intercepter au passage, quand l’occasion le permettait, la correspondance amoureuse, les lettres partant de Madrid comme celles venant de France. De là, entre les deux amis, des périodes de silence forcé, suivies de récriminations contre les méfaits de la poste. « Les lettres se perdent ; il y a sans cesse des retards ; » cette plainte revient continuellement sous la plume de Julie. A la longue, cependant, elle eut quelque soupçon ; c’est alors qu’elle imagina de s’adresser au duc de Villa Hermosa : une fois de plus, le dévoué d’Alembert remplit l’office d’intermédiaire ; et telle est l’origine de la correspondance qui, conservée dans les archives de la maison de Villa Hermosa, est aujourd’hui pour nous une source d’informations précieuse. « Quoique les amis de M. le marquis de Mora approuvent fort son silence, ils en sont

  1. Retratos de Antano. Passim.
  2. Lettres inédites publiées par M. Charles Henry. Appendice.
  3. Ibid.