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reconnaissait au Sultan le droit d’accorder le passage sans avoir à en rendre compte à qui que ce soit ; l’Angleterre le lui déniait.

La presse anglaise, docile aux inspirations du Foreign-Office, appuyait sa démarche officielle en menant une campagne de récriminations contre la Russie et de menaces vis-à-vis du Sultan et s’efforçait de rajeunir la vieille question des Détroits en y associant des passions politiques plus actuelles. Tout ce bruit ne trouva aucun écho dans les chancelleries européennes ; aucune puissance ne donna son adhésion à la note britannique ; la presse allemande prit prétexte de l’incident pour attaquer vivement la politique de lord Salisbury ; le Lokal Anzeiger qualifiait de « ridicules » les prétentions de l’Angleterre. L’incident alla ainsi dégénérant, — symptôme significatif, — en une vive polémique entre les journaux d’Allemagne et ceux d’Angleterre. Dès le 6 janvier, le Times écrivait : « Nous savons très bien que nous ne devons pas compter sur le concours de l’Allemagne… Dans tous nos différends avec la Russie, nous pouvons bien compter avoir l’Allemagne contre nous. » Et le Standard, de son côté, disait le même jour : « Les ministres de Guillaume II feront cependant bien de réfléchir sur l’article stipulant que toutes les clauses des traités internationaux sont obligatoires pour les puissances signataires. Le gouvernement allemand a signé le traité de 1871, qui a expressément maintenu le principe de la clôture des détroits ; s’il s’avise de dire aujourd’hui qu’il ne veut plus s’occuper des Dardanelles, nous pourrons, de notre côté, imiter cette politique d’abstention sur d’autres sujets qui lui tiennent de très près. »

La mauvaise humeur agressive de la presse anglaise, le ton rogue et hautain des journaux allemands nous révèlent plus sûrement que les communications officielles des chancelleries les raisons véritables et, s’il était permis d’employer cette expression, les « dessous » de l’incident des quatre torpilleurs. On peut croire que ce n’est pas dans le seul dessein d’augmenter de quelques faibles unités la flotte de la Mer-Noire que le gouvernement du Tsar s’est résolu à faire, auprès du Sultan, une démarche diplomatique de cette importance ; il a voulu, sans doute, donner la mesure de l’influence que la Russie avait su reconquérir à Constantinople et peut-être créer un précédent ou tenter une expérience pour le cas où sa flotte de la Mer-Noire aurait intérêt à pénétrer dans la Méditerranée ou serait appelée en