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encore de toutes les puissances signataires de ces transactions[1]. »

Les procès-verbaux sont muets sur l’opinion des autres plénipotentiaires ; ils se contentent d’enregistrer, sans commentaires, les deux déclarations contradictoires. Rien ne faisait prévoir cet incident ; quatre jours auparavant, lord Salisbury, au contraire, avait déclaré que si Batoum n’avait pas été fait port franc, l’Angleterre n’aurait pas pu s’engager envers les autres puissances européennes à s’interdire l’entrée de la Mer-Noire, mais que, du moment où la Russie cédait sur ce point, le gouvernement anglais ne se refusait pas à renouveler ses engagemens ; le Congrès, unanimement, — le procès-verbal le constate, — avait approuvé les paroles du second plénipotentiaire anglais. Juridiquement, une simple déclaration insérée au protocole ne pouvait suffire pour modifier un principe consacré par plusieurs conventions et sanctionné à nouveau par l’unanimité du Congrès ; mais, politiquement, l’interprétation adoptée par la Grande-Bretagne était de nature à entraîner les plus graves conséquences. Le Congrès de Berlin était le triomphe de la politique anglaise : lord Beaconsfield avait sauvé les États du Sultan d’un démembrement : sa volonté faisait loi à Constantinople ; dans ces conditions, reconnaître au Sultan le droit absolu de disposer, de sa propre autorité, de l’ouverture et de la fermeture des détroits, c’était, en fait, assurer à la Grande-Bretagne elle-même l’exercice exclusif de ce droit ; pour s’assurer un tel avantage, le premier ministre de la Reine donnait l’exemple de modifier, quant à lui-même, des stipulations internationales, sans avoir obtenu l’assentiment des puissances contractantes. Dans l’enivrement de son succès, lord Beaconsfield présumait trop de l’avenir et croyait pouvoir compter sur la perpétuité de l’hégémonie britannique dans le Bosphore ; qu’arriverait-il cependant, remarquait, dès 1878, M. Benoît Brunswik, dans son ouvrage sur le traité de Berlin, le jour où l’équilibre des forces viendrait à se déplacer et où le Sultan, usant du droit absolu que lui attribue l’Angleterre, conclurait avec la Russie un nouveau traité d’Unkiar-Skélessi et appliquerait au profit de cette dernière le principe de la clôture des détroits ?

Tout en maintenant son interprétation, lord Salisbury, le

  1. Voyez Adolphe d’Avril, Négociations relatives au traité de Berlin, Ernest Leroux, 1883, in-8o, p. 443. Cf. Mischef, ouvrage cité, p. 593.