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« Nous ne devons pas oublier, écrivait, à la veille de sa retraite, le comte de Nesselrode, dans sa note du 11 février 1856, que, dans la crise actuelle, la Prusse, seule de toutes les puissances, a fermement manifesté l’intention de ne pas nous être hostile. » Thiers, en 1870, éprouva que Gortchakof avait médité les conseils suprêmes de son prédécesseur. A Saint-Pétersbourg, où l’amenait son douloureux pèlerinage à travers l’Europe indifférente, l’avocat de la France vaincue trouva Alexandre il occupé à déchirer le traité de Paris. La France payait ses erreurs ! « La guerre de 1854 et le traité de 1856, écrivait Gortchakof à M. Oukounoff, agent de la Russie près de la délégation de Tours, ont été les premiers pas dans la voie des perturbations politiques qui ont ébranlé l’Europe et ont abouti à de si désastreuses conséquences. Quel que soit le gouvernement qui s’établisse définitivement en France, sa tâche sera de réparer les maux causés par un système politique dont le résultat a été si fatal. »

Le 31 octobre 1870, le prince Gortchakof porte, par une simple dépêche circulaire, à la connaissance des cabinets européens « que Sa Majesté Impériale ne saurait se considérer plus longtemps comme liée aux obligations du traité de Paris du 18/30 mars 1856, en tant qu’elles restreignent nos droits de souveraineté dans la Mer-Noire. » Il n’y a pas de droit contre le droit ; c’était le droit de la Russie de s’affranchir de stipulations si évidemment injustes et vexatoires. La conférence de Londres ne fait, sur ce point, que sanctionner le fait accompli ; elle ne touche pas d’ailleurs au régime des détroits ; mais, en confirmant une fois de plus la Convention de 1841, elle accorde, par son article 2, au Sultan « la faculté d’ouvrir les détroits, en temps de paix, aux navires des puissances amies et alliées, dans le cas où la Sublime Porte le jugerait nécessaire afin d’assurer les stipulations du traité de Paris de 1856. » Quelle était la portée exacte de cet article ? apportait-il un changement dans la nature juridique des engagemens du Sultan, ou bien n’était-il qu’une extension des droits qui lui avaient été antérieurement reconnus ? le Sultan était-il affranchi de toute obligation collective vis-à-vis des puissances signataires ou bien était-il libre de s’entendre séparément avec chacune d’elles pour lui ouvrir, s’il le jugeait opportun, les Dardanelles et le Bosphore ? Il n’est guère vraisemblable que les puissances, au moment même où elles