Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/816

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

(10 juillet). Sous les apparences d’une alliance défensive, la Russie établit sur Constantinople et sur les détroits un véritable protectorat, elle garantit au Sultan son assistance militaire contre toute attaque et, en échange, « Sa Majesté l’Empereur de toutes les Russies voulant épargner à la Sublime Porte la charge et l’embarras qui résulteraient pour elle de la prestation d’un secours matériel, ne demandera pas ce secours si les circonstances mettaient la Sublime Porte dans l’obligation de le fournir ; la Sublime Porte ottomane, à la place du secours qu’elle doit prêter au besoin d’après le principe de réciprocité du traité patent, devra borner son action en faveur de la Cour impériale de Russie à fermer le détroit des Dardanelles, c’est-à-dire à ne permettre à aucun bâtiment de guerre étranger d’y entrer sous aucun prétexte quelconque. » La politique russe est parvenue à ses fins, la situation de 1809 est complètement retournée à son profit ; le Turc reste le portier de la Mer-Noire, mais le portier a trouvé son maître, il s’est engagé au service d’un puissant seigneur, et c’est pour son compte qu’il monte la garde. « Le cabinet de Saint-Pétersbourg, écrit Guizot, convertissant en droit écrit le fait de sa prépondérance à Constantinople, faisait de la Turquie son client officiel, et de la Mer-Noire un lac russe, dont le client gardait l’entrée contre les ennemis possibles de la Russie, sans que rien la gênât elle-même pour en sortir et lancer dans la Méditerranée ses vaisseaux et ses soldats. »

La Russie est à l’apogée de sa puissance dans la Mer-Noire ; en obtenant la fermeture de cette mer aux vaisseaux des autres nations, elle affirme sa résolution de faire prévaloir sa seule volonté dans les Balkans ; mais déjà elle s’achemine vers 1856 et le traité de Paris, qui marquera son extrême humiliation. La politique anglaise, alarmée par le traité d’Unkiar-Skélessi, n’a pas de repos qu’elle n’en ait paré les conséquences. Manifestement, la Turquie est devenue trop faible pour assurer elle-même, contre qui que ce soit, la clôture des détroits ; lorsqu’elle faisait appel à la main-forte de la Grande-Bretagne pour enfermer les Russes dans la Mer-Noire, sa faiblesse apparaissait aux hommes d’État anglais comme une circonstance favorable ; mais, dès qu’elle se mettait sous la tutelle russe, il en résultait un péril européen auquel il était urgent d’obvier. La seconde guerre turco-égyptienne et les illusions de M. Thiers offrent à Palmerston l’occasion d’une revanche ; sa diplomatie obtient la signature de