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LA MER-NOIRE
ET LA
QUESTION DES DÉTROITS
Á PROPOS DE L’INCIDENT DU POTEMKINE

L’Europe était fondée à croire, depuis si longtemps que sa diplomatie travaille sur la « question d’Orient, » que tous les cas avaient été prévus, toutes les complications écartées, et qu’elle pouvait se reposer sans crainte de surprises ; et voici que sans souci des protocoles, à travers cette Mer-Noire dont tant de traités et de conventions ont réglé le statut juridique, un cuirassé russe, en rupture de discipline, promène le pavillon rouge de la Révolution ; il apparaît devant Odessa et il y déchaîne des « vêpres » sanglantes ; puis il se montre devant un port roumain, Constantza ; un vapeur anglais le rencontre à 60 milles de Constantinople, — ou croit le rencontrer, car c’est le vaisseau-fantôme, et des nouvellistes pressés le signalent jusque dans la mer de Marmara ! — Tout autour du large bassin où il s’en va errant, on le guette avec anxiété : dès qu’une fumée s’élève sur l’horizon bleu, c’est lui ! Les populations courent aux jetées, inquiètes de ces canons monstrueux qui n’obéissent à aucune loi civilisée, curieuses pourtant d’un phénomène si nouveau. En même temps que les foules se pressent sur les rivages, les diplomates compulsent leurs archives et scrutent leurs traités de droit international. A l’entrée du Bosphore, on se hâte de braquer une inoffensive artillerie. Le Sultan, dans Yildiz-Kiosk, prend l’alarme ;