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À la Chênaie, le 16 décembre 1825.

Je suis, mon cher et respectable ami, plus affligé que surpris du résultat de votre voyage. J’espère que la Providence viendra à votre secours. Si mon frère pouvait vous aider, il le ferait certainement avec une grande joie ; mais le zèle est bien affaibli. Il se trouve lui-même en des embarras pareils au vôtre. M. de Corbières lui a fait refuser cette année par les départemens de la Bretagne les légères allocations qu’il recevait d’eux chaque année. Le ministre a même poussé l’obligeance jusqu’à empêcher le payement d’une somme votée à Rennes l’an dernier, et portée dans le budget approuvé par lui. Voilà comment vont les choses, et que de détails du même genre je pourrais ajouter à ceux-ci !

Je pense tout à fait comme vous sur l’ouvrage de M. de Roux, qu’il m’avait communiqué en manuscrit. C’est faible, très faible, mais l’impression en sera bonne sur ceux qui le liront.

Ce que vous me dites, sur les pressantes invitations de nos amis de la rue du Bac, s’accorde parfaitement avec ma manière de voir ; et votre avis me confirme de plus en plus dans le mien. Malheureusement, les motifs de rester à mon poste me manquent moins aujourd’hui que jamais. Vous avez vu ces deux arrêts de la Cour royale, et les plaidoyers des avocats, et les articles peut-être plus odieux encore de Chateaubriand dans les Débats. Quel siècle ! et où allons-nous ? J’ai fait sur ces arrêts une petite brochure qu’on vous enverra[1]. J’y défends en passant le respectable M. Würtz si lâchement insulté par M. l’abbé Fayet dans une des extravagantes lettres qu’il a fait insérer dans la Quotidienne. Je travaille maintenant à la deuxième partie de la Religion considérée[2], etc. J’espère finir en deux mois ce

  1. Quelques réflexions sur le procès du Constitutionnel et du Courrier.
  2. La deuxième partie du livre de La Religion considérée dans ses rapports avec l’ordre politique et civil parut à la fin de février 1826. Frayssinous disait de cet ouvrage : « Il est effrayant de talent, » et Charles X ajoutait en parlant de l’auteur : « L’abbé de Lamennais est un excellent prêtre et un homme de génie, mais je crains bien qu’il ne se fasse des affaires avec les tribunaux. » (Cf. Blaize, t. II, p. 32.) La publication de ce livre donna lieu en effet à des poursuites judiciaires, et, le 22 avril, Lamennais, malgré la vigoureuse défense de Berryer, son avocat, se vit condamné à 30 francs d’amende et aux dépens ; son livre fut envoyé au pilon. Le grief qu’on imputait était « une attaque directe et formelle à la Déclaration de 1682. » Lamennais écrivait, le 12 mars 1826, à la comtesse de Senfft, au sujet de cet ouvrage : « J’ai taché de dire la vérité, et toute la vérité. »