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avait fait ses preuves de décision et même d’héroïsme au fort de la tourmente ; de plus, il connaissait admirablement Genève qui avait été son quartier général pendant les journées révolutionnaires. On l’y envoya rejoindre un autre prêtre plus âgé, M. Neyre, qui avait reçu la même mission.

Trois ans durant, les deux « missionnaires, » émigrant de quartier en quartier et de demeure en demeure, contraints à des déménagemens précipités aussitôt que leurs projets étaient découverts, exposés à mille tracasseries, voire à des émeutes populaires, une fois même obligés de quitter Genève par mesure de prudence, mais patiens, obstinés, ne perdant jamais pied, n’eurent qu’une seule pensée : fonder une chapelle et établir un culte régulier et public. Ils y parvinrent enfin. En 1803, M. Vuarin obtint même, non sans peine, un coin de cimetière pour ses coreligionnaires. Mais il fallut, la même année, et en dépit du Concordat, d’interminables démarches, et les manœuvres de la plus savante stratégie, et finalement l’intervention personnelle de Portalis, pour faire concéder aux catholiques la location du temple inutilisé de Saint-Germain, la première des églises genevoises qui, en 1535, avait été livrée au culte réformé. Quelques mois auparavant, un curé de Genève avait été nommé par le nouvel évêque de Chambéry, Mgr de Mérinville, dans la personne de l’abbé Lacoste. M. Vuarin était rappelé à Chambéry. Le catholicisme avait désormais une existence légale dans la ville sainte de la Réforme calviniste.

Le choix de M. Lacoste n’était pas très heureux. Il était étranger au pays, et il n’avait pas toute l’énergie nécessaire pour triompher des difficultés sans cesse renaissantes d’une situation particulièrement complexe et délicate. En 1806, il donna sa démission, et il fut remplacé par, M. Vuarin qui, depuis trois ans, remplissait excellemment les importantes fonctions de secrétaire à l’évêché de Chambéry. Cette fois, l’on n’aurait pu mieux choisir.

Jamais homme, en effet, ne fut plus pleinement l’homme d’une fonction et d’une œuvre. Durant trente-sept années, il a été curé de Genève, et il n’a voulu être que cela. « Quand on est nommé curé de Genève, disait-il en quittant Chambéry, on y reste et on y meurt. » Il n’eût tenu qu’à lui, pour peu qu’il s’y fût prêté, d’être évêque, cardinal même. A toutes les sollicitations dont il fut l’objet à cet égard, il opposait un refus formel. « J’ai épousé l’Église de Genève, disait-il ; je ne divorce pas. »