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plus dans les papiers du curé de Genève[1] que quarante-sept lettres du grand écrivain, lettres intimes, et par là même très précieuses, qui reflètent comme un miroir toutes les phases de son effrayante carrière. » Mais les deux historiens n’en ont à peu près rien publié. Et non seulement, ainsi qu’ils le disent, cette correspondance nous présente comme en raccourci, sinon toute, au moins la plus importante partie de la carrière de Lamennais, puisque, commencée au lendemain de la publication du premier volume de l’Essai sur l’Indifférence, elle s’achève exactement en 1837, après la rupture complète avec Rome ; mais encore, sur un certain nombre de points, elle complète et elle précise l’idée que nous pouvions nous former du fougueux tribun, de sa prodigieuse activité, de son ardeur inlassable. Le moraliste et l’historien des idées religieuses ne connaîtront jamais de trop près cette personnalité si complexe et si mobile, l’une des plus attirantes, des plus énigmatiques peut-être aussi, de toutes celles que le XIXe siècle a léguées à la méditation du XXe.

Ce n’est pas non plus une personnalité banale que celle de M. Vuarin. Ce fut lui qui, en 1824, accompagna Lamennais dans son premier voyage à Rome. Il s’y fit remarquer par la fermeté et la hauteur de son caractère, par la netteté de ses vues, par son tact et son habileté diplomatiques. Léon XII se plaisait à louer « son génie, la pénétration de son esprit, le zèle avec lequel il gouvernait sa paroisse. » Grégoire XVI l’appelait « son cher curé de Genève. » « Sa vie est une vie sublime, » disait-il encore de lui. « Il est, écrivait à son tour celui qui devait être un jour Pie IX, il est de tous les curés ayant charge d’âmes le plus zélé, le plus dévoué, le plus attaché à l’Église que je connaisse dans l’univers catholique. » La vie de M. Vuarin est d’ailleurs si intimement mêlée à l’histoire assez peu connue du catholicisme genevois au XIXe siècle que, n’y eût-il que cette seule raison, il ne serait pas superflu d’en esquisser ici les principaux traits.

La Réforme n’avait pas, comme on le croit d’ordinaire, entièrement détruit le catholicisme à Genève. En dépit des persécutions de toute sorte dont le « papisme » a été l’objet dans la cité de Calvin, en dépit de l’active et rigoureuse surveillance exercée

  1. Ces papiers, dont la collection, si importante pour l’histoire de Genève, a été préparée par M. Vuarin lui-même, ne forme pas moins de 40 volumes in-quarto ou in-folio, de 400 ou 500 pages parfois, sans compter un très grand nombre de documens épars.