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pieusement recueillie, devant le symbolique morceau d’étoffe, en chantant : Dieu sauve la Reine !

La presse anglaise s’occupa longuement de ce projet ; elle le commenta, l’amenda, le perfectionna, et l’accueillit en général fort bien. Shakspeare, que naturellement on consulta, parut encourageant : n’est-il pas dit, dans Henri V, que le jour de Saint-Crépin, qui est celui d’Azincourt, ne manquera pas de rester célèbre jusqu’à la fin du monde ? A l’école primaire d’être la dépositaire de ces glorieux souvenirs. D’innocens rêveurs s’insurgèrent, rappelant les vers de Tennyson sur « l’âge où les tambours de la guerre ne battront plus et où les drapeaux des batailles seront en repos dans le Parlement de l’homme, la fédération du monde. » Mais l’opinion fut peu sensible à cette poésie ; il parut sans doute utopique et malsain de faire régner ces imaginations pacifistes sur le cerveau des petits Anglais, à la veille du jour où leurs bras, leur or et leur vote allaient être réclamés pour la politique réaliste de M. Chamberlain. D’autres contradicteurs exprimèrent la crainte qu’en se faisant « chauvine, » l’école anglaise ne parût imiter l’école française de l’époque ; mais sans nulle vanité, l’on passa outre à cette peur ; le conseil scolaire de Londres, finalement, accepta la proposition qui lui était faite, et les drapeaux furent achetés.

L’épisode est significatif ; il se rattache à la transformation profonde qui semble, d’une façon discrète mais continue, renouveler l’ensemble des institutions anglaises ; et ces parades scolaires d’esprit national sont peut-être le prélude d’autres parades qu’exécuterait, pour l’Angleterre de demain, une ébauche d’armée nationale. Au demeurant, des pièces de vers comme Rule Britannia, The noble English boy, England glory, fréquemment reproduites dans les livres classiques, inspirent depuis longtemps au petit Anglais un respect un peu hautain pour la supériorité de sa nation.

N’en déplaise à quelques Français, qui volontiers achèteraient par des déclarations d’humilité nationale le succès des mots d’amour qu’ils prodiguent aux autres peuples, il n’est pas messéant, pour une nation, d’avoir une haute idée d’elle-même. Se préférer aux collectivités étrangères, serait-ce vraiment un trait de fatuité, et n’est-ce pas, plutôt, une forme du vouloir-vivre, un désir de persévérer dans l’être national ? Il ne saurait s’agir, naturellement, de s’attribuer des vertus ou des talens