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se sont repliés sur eux-mêmes dans un recueillement plus attentif et plus avisé. Est-ce un bien ? Est-ce un mal ? A notre avis, c’est un bien. En tout cas, c’est un fait. La paix n’en est nullement menacée ; mais les conditions en sont mieux comprises qu’autrefois et les devoirs en sont plus virilement acceptés.

Quant à nos rapports avec l’Allemagne, il ne dépend pas de nous seuls de les rendre ce que nous voudrions qu’ils fussent. Le mot de rapport s’applique nécessairement à deux parties, parfois même à plus de deux. Nous ne pouvons être pour l’Allemagne que ce qu’elle sera elle-même pour nous ; et puisqu’elle a pris l’initiative de ramener nos rapports à ce qu’elle estime qu’ils doivent être, c’est à elle aussi de se rendre compte de la valeur et de l’efficacité des moyens qu’elle y a employés. Assurément la Russie peut l’aider à faire cet examen de conscience : peut-être cela vaudrait-il mieux de sa part que de faire publiquement le nôtre dans les journaux. Toutes ces œuvres, si recommandables, si utiles, ne réussissent jamais mieux que dans le silence. Ce dont on peut être sûr, en tout cas, c’est que, voulant la paix pour nous, nous la voulons pour les autres, et que ce n’est pas nous qui nous exposerons à la rompre en portant atteinte aux droits, aux intérêts ou à la dignité d’autrui.


A-t-elle été vraiment en péril entre la Suède et la Norvège ? Nous nous refusons à le croire, car la guerre entre elles aurait été fratricide. Évidemment, elles n’en voulaient ni l’une ni l’autre, mais on ne sait jamais comment tourne une affaire mal engagée, et les volontés les plus fermes dans la réflexion sont quelquefois très faibles quand elles se trouvent aux prises avec les entraînemens populaires. Aussi la conscience du monde entier, on peut le dire, a-t-elle éprouvé un vrai soulagement lorsqu’on a appris que l’entente était faite entre les deux pays, — puisqu’il faut maintenant dire les deux pays, — et que l’un et l’autre s’en montraient suffisamment satisfaits. Il est clair que la Suède ne peut pas éprouver une satisfaction complète, et même que le mot de satisfaction ne saurait s’appliquer au sentiment qu’elle éprouve. Le déchirement qui a eu lieu la laisse amoindrie, affaiblie, désemparée. Elle gardera longtemps de l’amertume de ce qu’elle appelle l’ingratitude de la Norvège. Elle ne se reconnaît aucun tort envers celle-ci et, en effet, elle n’en a aucun. L’incompatibilité d’humeur gâte tout entre deux conjoints parfaitement estimables l’un et l’autre, et qui s’estiment, mais qui ne peuvent pas vivre ensemble. Est-ce leur faute ? Le divorce seul peut dénouer une situation pareille.