Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/722

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sommes pas vis-à-vis de l’Allemagne dans la même situation que la Russie ; nous n’en ferons rien. Nous avons le désir très vif d’avoir de très bons rapports avec l’Allemagne ; nous croyons même que nous venons de le montrer assez clairement.

Ce sentiment, qui, de notre part, est très sincère, est aussi très ancien. En dépit des souvenirs que certains événemens laissent profondément ancrés dans la mémoire de la génération qui y a assisté, nous avons toujours pensé que ce n’était pas là que nous devions chercher l’inspiration de notre politique quotidienne. Un pays, un gouvernement, doivent savoir ce qu’ils veulent : la guerre ou la paix. L’une et l’autre correspondent à deux politiques différentes entre lesquelles il faut choisir : vouloir les suivre toutes les deux à la fois est le contraire de toute politique. Nous sommes pour la paix, et nous devons, par conséquent, y conformer notre conduite dans le présent. Quant à l’avenir, il ne nous appartient pas ; il n’appartient à personne ; il appartient à Dieu, comme a dit un de nos poètes. Nous n’avons pas la prétention de le deviner, et encore moins de l’enchaîner. L’avenir sera ce que le présent le fera : nous invitons tout le monde à travaillera ce qu’il soit pacifique. Il faut pour cela se respecter mutuellement, ménager les intérêts les uns des autres, chercher en toutes choses les élémens par lesquels ils peuvent se concilier. Ce sont là les mœurs de la paix, et rien n’est durable que ce qui repose sur les mœurs. Aussi ne faut-il rien faire qui puisse les troubler. Nous permettra-t-on de le dire à Berlin ? Si on a cru pouvoir s’y plaindre de certains détails de notre politique, détails qu’il était facile de rectifier, le pays chez nous restait étranger à toutes ces choses qu’il ignorait, et il était devenu si pacifique que l’idée même de la possibilité de la guerre était sortie presque définitivement de son esprit. Il étendait sur le monde entier une bienveillance uniforme, et il avait la confiance naïve d’être partout payé de retour. On pouvait penser qu’à cet égard la France était bien changée ; on pouvait même s’en préoccuper ; mais qui s’en préoccupait ? Quelques personnes seulement. Le courant de la paix était si fort qu’il emportait tout : on ne songeait plus à la guerre, on n’y croyait plus. Eh bien ! la France est restée aussi résolument pacifique, mais elle s’est demandé si tout le monde au dehors l’était autant qu’elle, et si ce danger extérieur, qu’elle s’était plu à regarder comme un phénomène d’un autre âge, ne pouvait pas se représenter subitement au milieu de l’inquiétante confiance et du laisser-aller auxquels elle s’abandonnait. Cela a amené quelque modification dans les esprits. Ils n’ont pas changé de direction, mais ils