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mais de tranquillité d’esprit, de sécurité pour le présent et pour l’avenir prochain. La manière personnelle dont l’empereur Guillaume est intervenu dans l’affaire marocaine, après avoir paru longtemps s’en désintéresser, a fait naître dans les esprits quelque trouble qu’il importe de dissiper, et on ne peut le faire que par une entente sincère entre l’Allemagne et nous. Quoi qu’il arrive, nous pouvons prendre le monde à témoin que nous n’avons rien négligé pour qu’il en fût ainsi. Nous n’avons reculé devant aucun sacrifice d’amour-propre, et, pourtant, on nous en a imposé quelques-uns qui ne laissaient pas d’être pénibles. Nous sommes allés dans les concessions aussi loin que nos intérêts vitaux et notre honneur, que nous ne confondons pas avec l’amour-propre, nous le permettaient. Nous avons conscience d’avoir par-là bien mérité de tous.

Nous avons parlé de la Russie à propos de M. Witte. La Russie a besoin plus que personne peut-être de recueillement et de repos pour panser ses blessures, reconstituer son matériel militaire, opérer ses réformes intérieures. M. Witte est trop perspicace pour ne pas le savoir, et, s’il a agi à Paris et à Berlin dans le sens de la conciliation, c’est un nouveau service qu’il a rendu aussi à son pays. Il semble s’être donné à tâche d’aller plus loin et d’amener un rapprochement plus complet, plus étroit, entre l’Allemagne et nous. C’est là un projet de longue haleine et qui, à supposer qu’il existe vraiment, appelle trop de réflexions diverses pour que nous nous y livrions aujourd’hui. Nous n’en dirons qu’un mot, c’est que M. Witte a paru chercher, dans les propos qu’il a tenus, à nous entraîner du côté de l’Allemagne en nous montrant la Russie déterminée à y aller elle-même. Quelque importans que soient ces propos dans sa bouche, nous ne nous y arrêterions pas bien longtemps s’ils ne correspondaient pas à d’autres qui nous reviennent de plusieurs côtés.

Réunir la Russie, l’Allemagne et la France en un même faisceau est une idée déjà ancienne dans certains milieux allemands, et qui y est tombée de très haut. Pour la réaliser, si elle est réalisable, il faut d’abord que l’alliance franco-russe soit maintenue : c’est par elle, en effet, que la Russie peut avoir prise sur nous. Aussi, quand elle déclare souhaiter le maintien de l’alliance, l’Allemagne parle en toute sincérité : comment pourrait-elle s’immiscer dans cette alliance, sous une forme quelconque, si elle ne continuait pas d’exister ? M. Witte affirme donc qu’elle existe toujours, qu’elle est restée ce qu’elle était : seulement beaucoup de choses ont changé autour d’elle. Laissons la parole à M. Witte lui-même ; mieux vaut reproduire sa prose