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Le prince ou rajah est censé ne pas être un feudataire, mais un allié, qui a librement accepté et juré une « constitution » et dont l’indépendance est demeurée entière, sauf les petites restrictions suivantes : ne pas disposer des revenus publics, ne point s’occuper des affaires extérieures, et dans les affaires intérieures, ne rien décider sans l’agrément préalable du Résident anglais ; permettre, dans toute l’étendue du territoire, l’application des lois britanniques, contribuer aux charges financières et militaires de l’Empire. En échange de ces légers sacrifices, on lui garantit une grosse liste civile, on le décore de l’Etoile des Indes, on lui reconnaît le titre de Hautesse, on lui fait rendre des honneurs princiers, on lui prodigue les fleurettes du protocole. Ne plaignons point trop ce roitelet, fainéant par goût et par nécessité, car il mène, en somme, une existence très agréable : superbes palais, magnifiques jardins, beaucoup d’argent, nuée de serviteurs, troupes de musiciens, d’astrologues, de bayadères, carrosses et palanquins, cortèges brillans qui s’avancent, bannières au vent, parmi les peuples agenouillés, toute la pompe extérieure de la souveraineté, tous les plaisirs que donne le pouvoir absolu, et même des ministres, pour avoir l’illusion de la puissance réelle, voilà des conditions que bien des gens accepteraient volontiers. La cage est confortable, les barreaux en sont capitonnés.

Quels sont, à l’égard de leurs « alliés » indigènes, les sentimens des Anglais ? Un des plus hauts fonctionnaires de l’Inde va nous le dire : « Je crois que nous pouvons compter sur le loyalisme des chefs indigènes, mais il est bon de ne pas se faire illusion. S’ils nous sont, pour la plupart, fidèles, ce n’est point qu’ils nous aiment, mais parce qu’ils savent que nous sommes forts et que la fidélité est la seule politique conforme à leurs intérêts. Nous ne pouvons raisonnablement leur demander davantage. S’il arrivait qu’à un moment donné, ils pussent cesser de croire à la permanence de cette domination, ce moment verrait inévitablement la fin de cette fidélité[1]. » La même pensée est exprimée par sir James Stephen : « Les Anglais sont, dans l’Inde, les représentans d’une civilisation belligérante, de la paix imposée par la force… Aucun pays du monde n’est mieux

  1. Lectures faites à Londres par un ancien gouverneur, sir John Strachey, dont j’ai déjà invoqué le témoignage. Ces Lectures ont été réunies en volume et fort bien traduites par M. Armand, ministre plénipotentiaire.