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appartiennent en propre à la Couronne, le reste du continent demeura, de façon plus ou moins nominale, comme nous l’allons voir, sous l’autorité des princes indigènes.


II

Le gouvernement général et les deux présidences sont réservés à des personnages marquans de l’aristocratie et de la politique, presque toujours très riches, habitués au grand luxe et qui forment une sorte de triumvirat administratif supérieur en lequel les Hindous voient une incarnation politique analogue à leur « Trimourti » sacrée : Brahma, Vichnou, Siva.

Le gouverneur général, qu’un usage ayant force de loi désigne plus ordinairement sous le titre de vice-roi, représente une sorte de Brahma, le dieu un peu impersonnel et théorique, le Tout, le Père des êtres. Il plane dans les nuées et « l’immense majorité des populations se doute à peine de son existence ; de temps en temps seulement elle aperçoit un rayon de la majesté du grand lord Sahib[1]… » Jamais il ne se montre qu’entouré d’un appareil fastueux, impressionnant, et lorsqu’on voit passer à l’horizon, traversant en foudre les vastes plaines, son train spécial que précède un autre train chargé d’arroser la voie et de parfumer l’atmosphère, on chuchote en écarquillant les yeux : Voilà le maître mystérieux des hommes et des choses.

Les deux autres gouverneurs qui rappellent Vichnou, Siva, sont des divinités plus concrètes qui, tout en étant fort réservées dans leurs manifestations et ne se mêlant pas au populaire, regardent la foule de moins haut. Mais n’allez pas croire que le Government House de Bombay et celui de Madras soient des maisons où l’on pénètre facilement et où, suivant la conception que nous nous faisons des demeures appartenant à l’Etat, chaque citoyen qui y est admis ait le droit de se croire chez lui. Il règne, au contraire, en ces palais une étiquette sévère, et pour parvenir jusqu’au cabinet de travail où His Excellency the Governor accueille très courtoisement les visiteurs munis d’une lettre d’audience, on est obligé de passer des attachés aux secrétaires, des officiers d’ordonnance aux aides de camp, tous fort corrects, mais aussi nombreux que chez un souverain. Nous sommes loin de la simplicité ultra-démocratique de nos délégués.

  1. Sir John Strachey.