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des chevaliers, des chanoines, dans une pensée d’édification. Mais il est une clause curieuse que l’on rencontre plus d’une fois et qui mérite d’être relevée. Souvent le donateur demande à être enseveli dans la chapelle même du Saint-Sépulcre. Les Mises au tombeau prirent donc un caractère funéraire. Rien de plus naturel. Il semblait rassurant de reposer auprès du tombeau de Jésus. On se couchait à ses pieds, confiant en sa parole et sûr de ressusciter avec lui.


VI


Ce n’était pas assez d’avoir représenté la Passion du Fils et la Passion de la Mère, le XIVe siècle finissant a imaginé une sorte de Passion du Père.

Le XIIIe siècle avait déjà, il est vrai, associé le Père à la Passion du Fils. On sait comment on représente alors la Trinité. Le Père, assis sur son trône, soutient des deux mains la croix sur laquelle son fils est cloué ; de l’un à l’autre vole le Saint-Esprit sous l’aspect d’une colombe. Mais l’artiste, en traçant cette étrange figure, n’a pas eu la prétention d’émouvoir. Il a seulement voulu exprimer cette idée théologique que le Fils est mort sur la croix avec le consentement du Père et de l’Esprit. Ce sont, nous dit-il, les trois personnes de la Trinité qui ont donnée à l’homme l’exemple du sacrifice, et la figure de la croix était inscrite de toute éternité au sein de Dieu.

Tout autre est le sentiment qu’essaient d’exprimer les artistes dès la fin du XIVe siècle. Ils ont voulu associer Dieu le Père, non pas à l’idée abstraite du sacrifice, mais aux douleurs de la Passion. Ils ont pensé que si Dieu est amour, comme dit saint Jean, il a pu sentir la pitié.

Il y a, à la Bibliothèque nationale, un livre d’Heures enluminé de la fin du XIVe siècle qui est un des plus surprenans chefs-d’œuvre de l’art français. À chaque instant, le génie de ce maître inconnu éclate. Entre tant de belles pages, il en est une qui est vraiment admirable.

Le cadavre de Jésus sanglant et livide est étendu sur la terre. La Vierge veut se jeter sur lui, mais saint Jean l’en empêche, et, pendant que de toutes ses forces il la retient, il tourne la tête vers le ciel, comme pour accuser Dieu. Et alors la face du Père apparaît. Son regard est grave et triste et il semble dire :