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Rien n’est plus contraire au véritable esprit du sujet que l’agitation. Dans une pareille scène, il doit régner un profond silence. Après l’horreur de la Passion, les vociférations et les outrages de la foule, Jésus se repose enfin dans la paix et le demi-jour, entouré de ceux qui l’aiment. Nos grands artistes du XVe siècle sentirent cela profondément. Ils n’ont pas conçu la scène comme un drame, mais comme un poème lyrique. Car maintenant il n’y a plus rien à faire et il n’y a plus rien à dire. Il n’y a qu’à regarder en silence ce corps qui descend lentement dans le tombeau. Les personnages, enfermés en eux-mêmes, semblent écouter leur cœur. Ils ne sont réunis que par la force d’une pensée unique. Nos poètes dramatiques eux-mêmes, en cet endroit, ont fait preuve de tact : si verbeux d’ordinaire, ils se taisent ici. Au théâtre, la mise au tombeau était une scène muette.

Plus les personnages sont immobiles et recueillis, plus l’œuvre approche de la perfection. Si les figures d’hommes valaient les figures de femmes, je mettrais au premier rang le Saint-Sépulcre de Chaource dans l’Aube (1515)[1]. Pas une des femmes ne fait un geste. On ne voit pas autre chose que des visages doucement inclinés et des yeux baissés. Jamais on n’exprima plus simplement émotion plus profonde. Cette belle œuvre rend difficile et donne le dégoût de tout ce qui n’est pas simple. On se demande quelles leçons de tels hommes avaient à recevoir de l’Italie, et l’on s’avoue, une fois de plus, que le mot de Renaissance, appliqué à l’art français, n’offre aucun sens.

Presque toujours nos artistes ont voulu attirer l’attention sur la Vierge. Souvent elle s’évanouit, et tombe lourdement entre les bras d’une sainte femme ou de saint Jean[2]. Cet épisode dramatique enlève à la scène cette sorte de beauté que lui donnent l’immobilité et le silence. Aussi les vrais artistes se gardent-ils bien d’arracher les personnages à leur douloureuse méditation. Ils les maintiennent tous à l’état lyrique. À Tonnerre, à Solesmes, la Vierge sans doute est prête à défaillir, mais elle

  1. Elles ne sont pas de la même main, comme l’ont bien vu MM. Kœchlin et Marquet de Vasselot (La Sculpture dans la Champagne méridionale, p. 104). Il est peu de Saints-Sépulcres qui ne présentent de ces inégalités. Presque toujours plusieurs artistes y travaillaient. Le Saint-Sépulcre de Tonnerre est l’œuvre de deux sculpteurs.
  2. Par exemple à Eu.