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croix, est maintenant au-dessous. On sent que tout le poids du corps porte sur les deux mains, et, avant toute réflexion, cet hiéroglyphe tragique, cette sorte d’Y, donne un choc douloureux. La croix cesse tout d’un coup d’être un symbole, et apparaît, pour la première fois, comme un gibet. L’attitude du corps renforce encore cette impression. Il est allongé, rigide, immobile. Pendant tout le XIVe siècle, les jambes étaient à moitié pliées, et le supplicié, arqué violemment, formait un S. Pourtant, cette silhouette tourmentée, convulsive, est cent fois moins émouvante que cette longue figure qui pend. Elle est si exténuée, si vidée de substance, qu’elle n’est pas plus large que la croix. Il est impossible, devant cet anéantissement physique, de ne pas songer à l’épouvantable description de sainte Brigitte.

Un détail, emprunté aux mystiques, achève la physionomie de ce Christ du XVe siècle. Il a été crucifié, non pas la tête nue, comme autrefois, mais avec la couronne d’épines : c’est pourquoi sa barbe et ses cheveux sont parfois glacés de sang.

C’est sous cet aspect que se présente le Christ en croix, durant tout le XVe siècle et une partie du XVIe. Une telle image correspondait sans doute exactement au sentiment des âmes, car nous la voyons adoptée dans la France entière. La Normandie nous la montre aux vitraux de Louviers, de Verneuil, et dans le tableau du palais de justice de Rouen, contemporain de Louis XII ; la Champagne aux vitraux de Rosnay, d’Auxon, de Creney, de Longpré ; la Franche-Comté au vitrail de Saint-Julien ; le Bourbonnais au vitrail de Moulins. Les exemples pourraient être multipliés à l’infini.

Ce type du Christ en croix s’est élaboré dans la dernière partie du XIVe siècle. La couronne d’épines n’existait pas au XIIIe siècle ; elle apparaît dans les premières années du XIVe : elle affectait alors la forme d’une torsade légère et ressemblait à un gracieux ornement. Mais c’est dans le parement d’autel de Charles V, au Musée du Louvre, qu’elle se montre pour la première fois (vers 1370), sous son aspect véritable. À partir de ce moment, elle ne fera plus défaut.

Quant à l’attitude du Christ, avec ses bras levés au-dessus de sa tête et ses jambes rigides, elle était déjà trouvée dans les premières années du XVe siècle, comme le prouve la fresque de Saint-Bonnet-le-Château, dans la Loire.

Au XVIe siècle, cette pauvre, cette touchante figure du Cru-