Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 29.djvu/660

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

arbitrairement et inutilement dans l’ordre physiologique et pathologique ce qui gagne à rester dans celui de l’histoire, de la psychologie, de l’observation des caractères et des mœurs. Ni les exagérations du spiritualiste, ni les vertiges de l’ambitieux chez Julien ne nous permettent de conclure contre lui au déséquilibre. Ses actes témoignent parfois de l’exaltation de son esprit, mais aussi d’une puissance de réflexion et de coordination très supérieure à la moyenne, et qui exclut toute idée de lésion organique. César, il avait montré l’intelligence la plus ferme et la plus lucide. Ce ne sont pas les fautes et les erreurs d’un règne de dix-huit mois, suffisamment expliquées par la passion religieuse, qui permettent de lui ôter des facultés qu’il faut bien lui restituer par instans, et ensuite à son lit de mort. Il avait la plénitude de sa conscience intellectuelle et morale l’homme qui, dans une proclamation à ses troupes mutinées, écrivait les lignes suivantes dont la noblesse et la raison témoigneraient au besoin contre plus d’une bataille perdue : « Vous pourrez tout gagner en abondance si, obéissant à Dieu et à moi qui, autant que le permet l’humaine science, m’efforce de vous conduire sagement, vous rentrez dans le calme ; mais si vous vous révoltez, si vous renouvelez d’anciennes et déshonorantes séditions, à votre aise ! Comme il convient à un empereur, moi, après avoir rempli tout mon devoir, je saurai mourir debout, méprisant la vie qu’aussi bien la plus petite fièvre pourrait me ravir ; ou bien simplement, je m’en irai ; je n’ai pas vécu de telle sorte que je ne puisse rentrer dans la condition privée. »

Il disait vrai ; dans la vie privée il eût été, sans dommage pour personne et sans doute à la joie et à l’édification de quelques-uns, un païen pieux et obstiné, un néo-platonicien surabondant et abscons, un homme exceptionnellement pur. En réalité, ce qui manquait d’équilibre, ce n’était pas lui, mais le système politique dont il était le suprême représentant, et qui, sans contrepoids efficace à l’intérieur, le Sénat romain étant absorbé par son immense tâche administrative, sans critique internationale, livrait à la volonté d’un seul homme toute la civilisation, donnant le monde pour champ d’expérience à ses fantaisies intellectuelles et à ses chimères de gouvernement ! Quelle sagesse n’eût-il pas fallu à Julien, quelles grandes vues, quelles notions fines, et variées, pour démêler la complexité des intérêts et le jeu des passions dans un Empire si étendu et formé de l’agglutination