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indifférence, marcher du même pas que lui dans la voie de la réforme morale… Même chez les philosophes, il ne trouvait pas toujours le point d’appui dont il avait besoin. Parmi beaucoup d’entre eux régnait à l’égard du paganisme un esprit de dénigrement et de libre pensée qui causait à Julien une réelle souffrance. »

La tentative, impolitique même au point de vue romain, de reconstitution de la nationalité juive, et l’essai de reconstruction du temple de Jérusalem, sont les derniers actes de Julien avant son départ pour la Perse. On dirait que lui-même, en défiant les prophéties par une sorte d’audace intellectuelle qui est bien d’un philosophe et d’un littérateur, ait eu à tâche de forger sa propre légende. Des globes de feu sortirent du sol et dispersèrent les travailleurs du temple, des tremblemens de terre renversèrent les murailles à peine commencées. On raconta qu’une parhélie en forme de croix lumineuse avait été aperçue dans les airs. Julien, ayant ainsi contre lui le ciel et les abîmes, prenait le caractère de fatalité et d’horreur mystérieuse avec lequel il devait traverser les siècles. La mort prompte et lointaine, qui semblait un châtiment, une réponse immédiate de la colère divine, acheva de fixer pour toujours sa physionomie curieuse d’antéchrist foudroyé.

Ce n’est pas le militaire que nous avons essayé de voir et de montrer en Julien. Le défaut d’information complète rend conjectural tout jugement sur la campagne de Perse ; ce grand roman épique un peu plat et un peu vide, ce monde immense, ces capitales ignorées, cette civilisation dont nous n’avons qu’une idée sommaire, ce cadre gigantesque que notre imagination et nos données historiques ne remplissent pas, cette armée romaine s’y enfonçant à la poursuite d’une armée persane qui fuit la plupart du temps, tout cela laisse flotter la pensée et déconcerte la critique ; mais le dessein de cette campagne eût-il été mal conçu et mal exécuté, Julien méritât-il la condamnation la plus sévère pour l’incendie de la flotte et l’abandon du siège de Ctésiphon, nous trouverions encore téméraires les écrivains qui, partant des erreurs du soldat, ont mis en doute la santé intellectuelle de l’homme ; c’est tirer la vérité à soi, et quelque juste indignation qu’ait pu exciter la conduite du souverain sectaire, c’est l’amoindrir, mais c’est en même temps l’excuser. N’usons pas de procédés si sommaires, ne faisons pas passer