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résidant au milieu de ses sujets dans la capitale orientale de ses États, répond de la part de Julien à une intention ironique ; elle correspondait cependant à la réalité des choses. Ce souverain barbu comme un mage asiatique, insoucieux de sa personne, toujours plongé dans l’étude, produisait un effet déconcertant sur les habitans d’Antioche, et leur faisait regretter « le divin Constance, » qu’ils avaient vu autrefois entouré d’une cour splendide, et s’agenouillant dans la pourpre devant l’autel chrétien. Une sorte de répulsion mutuelle rendait chaque jour la séparation plus profonde. Julien en vint à subir uniquement l’influence de son milieu immédiat, ce dangereux milieu d’intimité masculine où le paradoxe de fait entraînait fatalement le paradoxe dans l’idée et dans l’action, et où les amis, s’exaltant les uns les autres aux dépens du reste de l’univers, développaient en eux, et surtout chez leur protecteur à tous, l’excès de l’orgueil et de l’aveuglement. De tous les défauts de ce genre de réunion, il semble que Julien et ses compagnons n’aient échappé qu’à un seul et au plus fréquent : le libertinage. Ils n’étaient point cyniques, ils croyaient à la vie morale et honoraient les bonnes mœurs. « Ton lit est chaste comme celui d’une vestale, » écrivait à Julien le rhéteur Mamertin, et Libanius renchérissait avec lourdeur sur le compliment de façon à faire de la vertu réelle de Julien un objet de raillerie pour la légèreté syrienne.

Des désillusions venues de toutes parts favorisaient encore ce reploiement de l’Empereur et de ses amis. Grâce à la licence donnée contre les chrétiens, des désordres avaient éclaté un peu partout, à Antioche, à Césarée, à Gaza, à Aréthuse. Mais qu’on abattît des églises pour venger l’incendie du temple d’Apollon Daphnéen ou qu’une populace déchaînée s’amusât à torturer un vieil évêque, Julien s’apercevait bien qu’il n’y avait là qu’une effervescence de la rue, une basse flatterie de la foule. Ce qu’il eût voulu, c’est une action méthodique el enthousiaste à la fois, un entraînement de tout le clergé païen, et il ne rencontrait chez les prêtres hellènes que froideur et inertie. Dans cet Orient dont il avait tant espéré, où la lumière l’avait frappé autrefois, dont il rêvait en Gaule, il n’avait trouvé que quelques âmes en correspondance avec la sienne : « Les païens d’Asie avaient applaudi avec enthousiasme à la réouverture des temples, et à la remise en vigueur des pratiques divinatoires ; mais ils n’entendaient pas secouer, comme Julien l’eût voulu, leur longue