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blessait une puissance à peine constituée dans ses intérêts les plus humains et les plus vivans. Le premier il fit payer à l’Eglise chrétienne le prix de son succès terrestre ; il réussit à obscurcir passagèrement l’image qu’elle se faisait d’elle-même, à arrêter l’essor de ses espérances. Les chrétiens avaient pardonné à Néron et à Dioclétien qui, en brisant leurs os et en brûlant leurs corps, leur donnaient la consécration du martyre, ils ne pardonnèrent pas à Julien, l’insulteur de leur foi, le provocateur de leurs défaillances, celui dont l’adresse et la séduction avaient réussi à faire de nombre d’entre eux des apostats et des profanateurs.

Une loi restrictive réglant l’enseignement public, qui dans le monde romain avait toujours été libre, vint mettre le comble à l’inquiétude et à la sourde indignation des sectes chrétiennes. L’édit que nous connaissons interdisait l’accès des chaires aux professeurs chrétiens. Y en eut-il un second interdisant aux élèves chrétiens les études supérieures ? La question non résolue historiquement est de peu d’importance, puisque toutes les lois de Julien furent rapportées après sa mort, et eurent à peine un commencement d’exécution. Mais ce qui est curieux, c’est l’esprit dont lui-même était animé, ce sont les subterfuges par lesquels il se masquait et s’efforçait de masquer aux autres les atteintes qu’il portait à la plus ancienne et à la plus complète des libertés romaines.

L’édit qui nous est parvenu, et qui est de la rédaction même de Julien, renferme au milieu de beaucoup de fatras cette phrase singulièrement instructive : « Tous ceux qui font profession d’enseigner devront désormais avoir l’âme imbue des seules maximes qui sont conformes à l’esprit public. » L’esprit public, c’était bien entendu sa réforme païenne, c’était ce qu’il croyait, c’était lui-même, son gouvernement. Il voulait, comme tant d’autres, opérer à son profit l’unité morale du pays. Après cela, il se croyait libéral parce qu’il ne tuait pas : « J’en atteste les dieux, écrivait-il dans une de ses lettres, je ne veux ni maltraiter les Galiléens contrairement à la justice, ni leur faire aucun mauvais traitement. » Il les laissait se réunir et prier à leur guise, ce qu’il lui eût été du reste difficile d’empêcher, étant donné leur nombre, et parce qu’il limitait ainsi sa toute-puissance impériale, il se rassurait sur son rôle et sur ses intentions. Il croyait être juste lorsqu’il écrivait : « Je dis qu’il faut toujours préférer des hommes qui respectent les dieux, car la folie des Galiléens a