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le plaisir et l’orgueil du mystère. S’il était si inlassable dans ses sacrifices, c’est que de multiples et ondoyans symboles mêlaient leur enivrement au même acte, sans cesse renouvelé. Ses amis d’Asie, Maxime, qu’il avait fait venir près de lui, Chrysanthe, qu’il n’avait pu décider à quitter Éphèse, lui avaient donné la forme de philosophie et de religion qui convenait essentiellement à son esprit, compliqué et un peu trouble. La source en était dans le platonisme pur, de sorte que l’ancien élève de Mardonius pouvait se faire illusion et, malgré les altérations de détail, se flatter de suivre encore une doctrine grecque. De ce platonisme découlait une théologie, confuse même chez les maîtres, et qu’à force de la commenter et de la développer en face de lui-même, il avait achevé d’embrouiller. Il n’y avait de fixe que le point central, l’Unité platonicienne, l’Être en soi, le Bon, l’Absolu. Cause simple et unique dont tous les êtres ne sont que les dérivés, beauté, perfection et puissance essentielle, il produisait à son image le soleil intellectuel d’où émanaient les dieux intelligens. Cette échelle idéale avait sa représentation sensible dans le soleil visible et dans les êtres matériels. Trois mondes se superposaient donc : le monde intelligible comprenant les causes premières et les principes absolus, le monde intelligent, le monde sensible : le second, le monde des intelligences était celui où se complaisait la pensée de Julien ; c’était son soleil à la fois éblouissant et caché dont il était l’initié et le prêtre ; il l’adorait jusque sur l’autel des divinités grecques qu’il faisait émaner de lui, ou avec lesquelles il essayait de l’identifier. Les dieux anciens de l’hellénisme, les dieux d’Homère et d’Hésiode, n’étaient plus dans cette classification que des dieux secondaires, chargés de veiller sur une race et sur un pays, à moins que leur personnalité variable et fuyante ne se confondît avec le dieu Soleil. Pour grandir ce Dieu privilégié, Julien mêle un jour dans une fable compliquée Apollon et Jupiter ; ailleurs, dans son Discours sur la mère des dieux, il donne le nom de Minerve à Cybèle, la grande mère phrygienne ; ces dieux de sa patrie deviennent pour lui, comme les dieux des autres peuples, des reflets d’une lumière plus haute, des formes par lesquelles la divinité se prête à la vulgaire conception des hommes, et qui paraissent dès lors indifférentes au vrai penseur et à l’être profondément religieux ; il étend leurs attributions, prête à chacun d’eux la puissance créatrice, comme pour les ramener à l’Absolu et à