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de musiciens et de musiciennes. Lui, dont la moralité personnelle était si haute, n’éprouvait aucune gêne de ces promiscuités répugnantes avec des gens sans aveu, livrés peut-être à la prostitution sacrée. Comme tous les êtres d’ardente passion, il n’avait plus de finesse et de tact que ce qu’il en fallait pour son but. A force d’imagination et de désirs, il prêtait aux êtres et aux choses ce qui leur manquait ; l’hellénisme, religion sans intensité, faite pour les yeux et pour les sens, était devenue pour lui, — mais pour lui seul, — une religion de l’intelligence et de l’âme. Il était touchant d’empressement, de sincérité, de contention pieuse, voire même un peu ridicule, tant il s’efforçait. Celui dont les libres penseurs de tous les pays ont voulu faire leur patron, que Voltaire a pris la peine de réhabiliter en deux articles de son Dictionnaire philosophique, qui a inspiré un panégyrique au marquis d’Argens, en qui d’autres ont voulu voir un sage uniquement inspiré par une grande pensée politique, la reconstitution du monde romain sur ses bases religieuses, n’était en réalité que le moins indépendant et le plus minutieux des dévots. Sa tentative est toute mystique, et individualiste autant qu’il se peut. Des pratiques bizarres emplissaient ses journées. Debout dès l’aurore, il adressait une prière à Mercure, « âme du monde et moteur des esprits. » Il sacrifiait le matin et le soir, saluant, dit Libanius, le lever du soleil par le sang, le reconduisant par le sang au moment de son coucher, puis sacrifiant encore aux génies de la nuit. » Cent taureaux, une quantité innombrable de brebis, de chevreaux, d’oiseaux au blanc plumage étaient parfois immolés en un seul sacrifice : Julien, la tête brûlante, les vêtemens et les pieds ensanglantés, aimait à remplir le rôle de victimaire. Telle était alors l’intensité de sa vie intérieure qu’il perdait toute sensation, ignorait le froid, le chaud, le vent, la pluie. Sans cesse on le voyait fouiller les entrailles des victimes, interroger le vol des oiseaux, interpréter les songes : « Sa vie se passait dans une épaisse atmosphère d’illusions et de prestiges ; les païens raisonnables, ceux qui avaient gardé le sens de la beauté grecque avec ses mouvemens harmonieux, ses gestes mesurés et sobres, souffraient de voir leur empereur se livrer à ces excès. »

Quel était donc son mobile d’action, quelle force intérieure le soutenait en milieu de ces manifestations immodérées ? C’était, me semble-t-il, le goût violent de l’abstrait auquel se joignaient