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abstrait, au nom de la raison abstraite. » Qu’un philosophe soutienne au fond du cabinet une thèse d’un platonisme si excessif, l’inconvénient n’en est pas grand, et à certaines époques de l’histoire, lorsque triomphe une politique ou trop subtile ou trop matérialiste, cet encouragement à l’essor de l’âme, ce rappel d’un idéal à la fois plus large et plus austère, peuvent avoir leur prix ; mais lorsqu’une théorie d’elle-même si vague, et qui ne prend tout son sens qu’en s’opposant à une action bornée et terre à terre, se rencontre sous la plume d’un empereur de trente ans, qui avait à se mouvoir d’une manière immédiate au milieu de la complexité religieuse et politique du monde romain, l’inefficacité et le danger en deviennent sensibles. L’établir péremptoirement, c’était s’autoriser soi-même à ne jamais tenir compte des circonstances, à manquer en toutes choses d’opportunité et de mesure ; c’était substituer aux indications des faits les décisions bien plus incertaines encore, et surtout plus arbitraires de la conscience individuelle ; c’était magnifier d’avance ses erreurs.

L’histoire de ce règne pourrait s’appeler le roman d’un idéologue, court roman dans un immense cadre. La religion de Julien, entretenue en secret depuis de longues années, était arrivée au paroxysme de l’exaltation silencieuse. A peine eut-il rompu avec Constance, qu’il jeta son masque de faux chrétien. Comme il était encore dans les provinces danubiennes, on le vit se livrer aux pratiques de l’haruspicine et de l’art augurai. En Illyrie, il sacrifia devant son armée. Dès qu’il fut empereur, il supprima le labarum, et fit remplacer par des insignes païens les croix qui ornaient les étendards. Enfin, en décembre 361, l’édit de Constantinople abrogea toutes les lois rendues par Constance contre le paganisme, et commanda de rouvrir les temples dont celui-ci avait ordonné la fermeture en 346 ; en même temps, on recommença les sacrifices défendus par un édit de 341.

La joie des païens fut immense. Mais la mesure produisit surtout son effet en Orient où les chrétiens étaient plus nombreux, et où le paganisme n’avait pas, comme en Italie et en Espagne, l’appui d’une aristocratie puissante. Les lois de Constance y avaient été obéies, partiellement du moins, et le culte des dieux avait cessé depuis vingt ans dans les villes où on les avait observées. A Rome, au contraire, la vie religieuse et politique avait continué à peu près semblable à elle-même ; les lois