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passait des journées entières dans les chambres des seigneurs pour obtenir la commande d’un épithalame ou d’une épître d’amour. » Une riche fermière étant décédée, et les héritiers n’ayant pas marchandé les honoraires de l’épitaphe, il put un jour s’acheter une chlamyde neuve. Il en profita pour aller faire sa cour à une beauté à la mode nommée Arsinoé : « Il connaissait tout et tous dans Athènes, et s’était fait présenter à elle ; puis il avait introduit Julien dans la maison. » C’est bien simple ; quand le petit-fils de Constance Chlore, le neveu de Constantin le Grand, celui dont la mort de tous les siens avait fait l’héritier présomptif d’un empire qui s’étendait des montagnes d’Ecosse aux colonnes d’Hercule et aux frontières de Perse, voulait aller dans le monde, comme il n’avait pas d’autres références, il s’y faisait présenter par un loqueteux. Ces anecdotes ne sont pas de la grande histoire ; mais elles ont l’avantage de renseigner exactement sur la société et sur les mœurs ; elles éclairent en même temps d’un jour très vif la psychologie d’un homme singulier. Il n’y a que ce Julien l’Apostat pour fabriquer si bien des petits bateaux, et pour s’introduire ainsi par la bonne porte chez une femme élégante. Arsinoé d’ailleurs n’est pas une personne commune d’esprit ; elle et son tuteur Hortensius donnent de très beaux dîners, où l’on sert des foies de canards « sous sauce safran, » et où les convives sont des intellectuels de marque qui ne craignent pas les grands sujets, mais les traitent, comme il convient, en badinant. Arsinoé grandit ensuite jusqu’à devenir une sorte de symbole. Elle est « celle qui veut la puissance. » Elle la demande d’abord au paganisme et à Julien. Puis elle pressent la mort des dieux et se retire au désert où Julien, devenu empereur, la retrouve ; il veut la reprendre, l’entraîner, il lui offre son amour, le partage du pouvoir. Mais cette ambitieuse à longue portée le repousse en le chargeant d’imprécations. « Pourquoi t’illusionnes-tu, n’es-tu pas indécis, périssable comme nous tous ? Songe, que veulent dire ta charité, tes discours de sacrificateur. Tout cela est nouveau, inconnu aux antiques héros de la Hellade !… Julien !… Julien !… Tes dieux sont-ils les anciens olympiens lumineux et inclémens, terribles enfans de l’azur, se réjouissant du sang des victimes et des souffrances des mortels ? Le sang et les souffrances des humains étaient le nectar des anciens dieux. Les tiens, séduits par la foi des pêcheurs de Capharnaüm sont faibles, humbles, malades, ils meurent de