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dédaignant des œuvres sobres et fortes où la probité littéraire s’unit à la conscience artistique, aille à ces placages de faux pittoresque fabriqués exprès pour son goût. Comme M. Allard, M. de Merejkowsky s’est documenté et connaît toutes les sources ; mais il ne les a pas pénétrées ; il n’a cherché aux événemens ni une interprétation ni une liaison ; il s’est contenté de prendre avec un sûr instinct ce qui convenait à son objet, un effet d’ensemble d’abord, le contraste banal et poétique du jeune christianisme et du paganisme agonisant. Aucun trait nouveau, rien d’original, soit dans les aperçus historiques, soit dans le développement des caractères, ne vient renouveler cette opposition : c’est toujours le même cadre, ce sont toujours les mêmes personnages convenus du roman gréco-romain, la païenne lettrée, le philosophe cynique, les dîneurs raffinés en gastronomie et en littérature, la même villa de courtisane, les mêmes catacombes, car les catacombes servent encore dans La Mort des dieux, les catacombes au IVe siècle, sous Constance, et même sous Julien ! Cependant nous sommes à la péripétie ultime de la lutte religieuse engagée depuis trois siècles, et pour rendre un conflit d’une telle grandeur, dont la fin marque l’avènement d’un monde, l’écrivain enfle la voix, force l’expression, sans nous toucher, hélas ! car nous ne sentons dans son exécution qu’artifice et préciosité. Tout ce que nous pourrions lui reconnaître, c’est un sens assez juste du mouvement et du décor. Il met en scène agréablement les portions d’histoire qu’il a d’abord découpées pour nous les offrir ; certes il ne se soucie guère que nous en découvrions les rapports de fait ni le lien psychologique. Mais cette suite de tableaux ou gracieux, ou brillans, ou tragiques, est habilement coloriée, et frappe l’œil. Indiquons en passant quelques-uns des plus anodins, et surtout des plus courts de ces épisodes.

Le roman s’ouvre pendant le séjour à Macellum ; Julien a dix ans ; il a pour voisin un prêtre d’Aphrodite, père de deux filles charmantes, et il s’est très juvénilement épris de l’aînée d’entre elles, Amaryllis. La jeune fille fait à la déesse le sacrifice de deux colombes blanches qu’elle laisse gracieusement s’envoler de ses épaules, car elle répugne à l’effusion du sang. Survient Julien qui a fabriqué pour elle un petit [bateau, une trirème, et qui vient la lui offrir le cœur battant. Amaryllis reçoit avec une désinvolture toute campagnarde l’hommage de son impérial amoureux.