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à se disculper, et à se faire renvoyer en Asie. A peine y était-il, qu’on lui enjoignit de se retirer à Athènes ; c’était, pour un lettré comme lui, une sorte d’exil de faveur ; néanmoins une telle suite de tribulations et d’angoisses ne laissaient pas d’agir fortement sur l’âme d’un jeune homme de vingt ans, de l’enfoncer de plus en plus dans la voie qu’il avait choisie. Saint Basile et saint Grégoire de Nazianze le virent alors dans cette Athènes où étaient réunis les étudians de toutes les nations. Le dernier nous a laissé de lui un portrait outré sans doute, mais qui ne doit pas être sans quelque ressemblance : « Je ne me pique pas, dit-il, d’être fort habile à deviner ; cependant je ne pouvais rien attendre de bon de ce jeune prince, en qui je voyais une tête toujours en mouvement, des épaules continuellement branlantes et agitées, un œil égaré, un regard fier et plein de fureur, une démarche chancelante et sans fermeté, un nez qui ne marquait que de l’insolence et du dédain pour les autres, un air de visage railleur et méprisant, un rire excessif et immodeste, des signes de tête qui accordaient et refusaient sans raison, une parole hésitante et entrecoupée, des interrogations déréglées et impertinentes et des réponses qui ne l’étaient pas moins, embarrassées les unes dans les autres sans ordre ni méthode, et ne se soutenant pas. » Tant de traits qui n’arrivent pas à faire un ensemble montrent du moins que Julien n’était pas sympathique. Il l’eût été difficilement, toujours menacé d’un retour de la colère impériale, pouvant tout craindre de tous, pratiquant une religion quand son cœur était plein d’une autre, mêlant le cynisme de l’hypocrisie au cynisme de la bravade (certains historiens prétendent qu’il se fit initier pendant son séjour à Athènes aux mystères d’Eleusis, mais M. Allard réfute cette assertion). Tel qu’il était, il n’avait rien qui pût attirer et séduire les deux heureux et purs jeunes gens élevés dans la quiétude et la santé morale, au milieu d’excellentes familles chrétiennes d’Asie, ivres d’un rêve de solitude ascétique, et impuissans à concevoir les tortures qu’avait déjà éprouvées dans son atmosphère de crimes et de délations le fils malheureux des maîtres du monde.

Cette jeunesse de Julien, que M. Allard a retracée avec tant de talent et de finesse psychologique, a été exploitée par M. de Merejkowsky dans son roman, La Mort des dieux, d’une manière que je ne saurais trouver ni heureuse ni louable. Quel dommage que le public ne se laisse prendre qu’à la forme roman, et,