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Cela sans doute est exagéré, et nous savons que la tourmente calmée, Constance permit à sa famille maternelle de s’occuper de lui ; mais le palais de son père lui était fermé, ses biens mis sous séquestre, même ceux qui lui venaient de Basilina. Selon une convention passée sans doute entre l’Empereur et les parens qui lui restaient, il fut confié alors à l’évêque arien, Eusèbe de Nicomédie ; celui-ci l’emmena dans son diocèse, puis quand, par la faveur de Constance et du parti arien, Eusèbe eut été transféré du siège de Nicomédie à celui de Constantinople, Julien l’y suivit ; il y vécut de 338 à 342 dans un milieu tout ecclésiastique, dit Sozomène. C’est pendant ce temps qu’on dut s’occuper de son instruction religieuse, et M. Allard fait remarquer pour sa décharge future que, du christianisme, il n’a guère connu que la forme arienne. Il a vécu, non avec des saints et avec des apôtres, non pas même avec des hommes d’une conscience droite et d’un esprit modéré, mais parmi des prêtres disputeurs, intrigans, rompus aux manèges de cour, près d’un évêque dont la vie tout entière était un combat d’ambition et d’intérêts. « Qui dira, écrit M. Allard, si ce n’est pas alors que se formèrent dans l’esprit naturellement aigri et soupçonneux de l’élève les premières préventions contre le christianisme, représenté à ses yeux par des hommes d’une foi suspecte et d’une conduite tortueuse ! On sait quelle est à cet égard la logique terrible des enfans. » Et ailleurs : « Personne ne paraît lui avoir révélé la religion sincère et désintéressée, le doux, simple et intime christianisme, avoir fait jaillir devant ses lèvres altérées la source d’eau vive, après laquelle celui qui aura eu le bonheur d’y boire n’aura plus jamais soif. » Il eût fallu à la nature ardente et concentrée de Julien un autre milieu, le voisinage d’âmes meilleures et plus pures.

Isolé, replié, il devint hostile suivant sa tendance. Ce charme qui manquait au christianisme tel qu’on le lui présentait, les lettres anciennes, la poésie qu’on lui enseignait, le lui offraient d’ailleurs surabondamment. Mardonius, son premier précepteur, était resté près de lui pendant son séjour chez Eusèbe, ou du moins n’avait pas tardé à le rejoindre : « On sait, dit M. Allard, quel helléniste accompli était cet esclave. Avec un art merveilleux, il initia Julien aux grands classiques, et lui inspira la dévotion qu’il professait lui-même pour Homère et pour Hésiode. Commentés par une bouche éloquente, ces écrivains de génie