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fait, et qui fera le moins de bruit. Les trois volumes de M. Allard reposent sur des études infiniment laborieuses et consciencieuses, et sont écrits avec la concision la plus élégante. L’intérêt y est soutenu, surtout dans le premier et le troisième tome, l’un traitant de la jeunesse du héros, l’autre consacré à ce grand drame de la guerre de Perse, où sa destinée s’abîma. Mais partout, même dans l’étude des écrits philosophiques de Julien, et dans le récit de ses luttes religieuses, là où l’historien risquait le plus d’être partial, se montre, avec un grand souci de vérité, la modération d’un esprit élevé, d’une âme sérieuse et sincère. La rigueur du penseur chrétien ne se manifeste que lorsqu’il croit devoir maintenir une vérité essentielle, et laisse place partout ailleurs, dans l’appréciation des actes, des faits et même des idées, à un réel libéralisme. Un travail de cette étendue et de cette valeur, si complet, si nerveux, exécuté avec tant de sang-froid et de maîtrise, me paraît bien être définitif, au moins dans sa partie historique. Les premières années de Julien sont contées d’une manière tout à fait aimable qui rappelle parfois la liberté et la grâce avec lesquelles Renan se jouait dans ce genre de récit ; mais l’aisance du style, la marche douce et poétique de la narration, n’empêchent pas la psychologie d’une âme toujours compliquée, et alors obscure, d’être traitée avec autant de sagacité que d’exactitude ; le fil est tenu d’une main ferme, et, d’un bout à l’autre de l’ouvrage, il ne cassera jamais.

Lorsque Julien naquit à Constantinople, en 331, le monde où il entrait était singulièrement bouleversé. La conversion de Constantin au christianisme avait changé la religion officielle de l’Empire, et le choix d’une nouvelle capitale avait apporté dans la vie politique et sociale de profondes modifications. En rompant avec les traditions de sa race et de sa patrie, et en abandonnant le lieu de ces traditions, c’était presque un nouvel Empire que Constantin avait fondé ; le fait ne prendra que peu à peu une réalité historique ; Rome gardera encore longtemps la prépondérance dans les affaires. La société nouvelle formée en Orient autour des empereurs, véritable aristocratie de parvenus, car le patriciat avait été en grande partie rebelle à l’émigration, ne se fera sa place que peu à peu. Les Romains de race pure qui naissaient dans ce milieu improvisé étaient donc coupés de toutes leurs origines ; ils grandissaient aussi en pleine anarchie religieuse, l’âpre lutte des orthodoxes et des ariens, et le triomphe