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extrêmement vive. Il écrit longuement à ses amis la cruauté de cette perte et l’amertume de n’avoir pu assister aux derniers momens. Ce deuil en évêque pour lui un autre dont il n’est pas encore consolé : « Ces deux êtres entre lesquels je me suis partagé si longtemps, elle et lui, dit-il à du Mesnil, les voilà morts, tous deux rentrés sous la terre sacrée du pays… » Et, plus tard, s’adressant à la veuve de son ami : « Deux voix également aimées, également saintes aujourd’hui, sortent de cette terre du pays pour me crier courage, l’une au nom d’une amitié virile et d’une vie exemplaire, l’autre au nom d’un amour vigilant et ambitieux pour moi… »


A Mademoiselle Lilia Beltrémieux.


Philippeville, 18 [ou 19] janvier 1848.

… Tout notre passé, tous nos souvenirs communs, ma pauvre amie, ont maintenant un côté respectable et douloureux ; nous n’y pouvons plus toucher sans remuer des cendres bien chères. Mais, vous le sentirez comme moi, n’évitons pas les souvenirs ; nourrissons-nous ensemble de nos regrets. Que notre cher absent reste vivant dans notre mémoire, dans notre amitié !

La lettre de vous m’a fait assister à ses derniers momens ; je souhaitais qu’il en fût ainsi, j’aurais plus souffert de ne rien apprendre. Oh ! le dernier moment, quoi qu’on fasse, est horrible ! Votre lettre, écrite à la hâte et d’un cœur qui se contient, m’a effrayé comme si je vous avais vue, comme si j’avais été à la porte de cette chambre où la mort venait d’entrer.

Il y a plus que de la douleur, il y a là-dedans des méditations sans fin. Quand Paul appelle les derniers instans, des instans solennels, il a profondément raison. J’ai senti cela dans ma vie. Je jure que la solennité de la mort avait tari mes larmes, pour m’inspirer un respect muet.

Notre Emile, mon amie, a vu, maintenant, ce qu’il a, pendant toute sa vie, tâché d’entrevoir. Il sait le secret qu’il a cherché dans sa conscience, dans sa raison, pendant dix ans de réflexions et de rêveries. Il est entré dans le repos. Il a la clairvoyance de l’âme délivrée. Il est où nous irons tous après lui, si, comme lui, nous avons la justice et la bonté du cœur, l’honnêteté de la vie.

Je crois que, sur la foi de ses propres paroles, de sa vertu