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et les vases vides. — J’y portais quatre roses, trois du Bengale, une blanche ; la pluie et le vent les auront déjà flétries et effeuillées. La couronne y est toujours, mais dans quel état ! je la voudrais remplacer pour perpétuer le souvenir de l’affreuse et ineffaçable journée du départ. — C’est d’ailleurs, vous le devinez, mon idée fixe, permanente ; tous mes soupirs involontaires, tous les refrains que je chante, toutes mes rêveries, tous mes vœux, vont au même but :


« O temps évanouis, ô splendeurs éclipsées…
« O soleils descendus derrière l’horizon !… »


Ces vers que je redis sans cesse résument tout. Et je n’ai pas fait mes Mémoires. Il me revient pourtant de dessous l’horizon des anciens jours des rayonnemens magnifiques.

C… va bien, sa femme aussi. Je l’ai vue aujourd’hui chez sa mère. Elle est charmante, mais trop jolie ; je suis jaloux de sa beauté. Je n’ai plus rien à lui opposer ; ses mains sans contrastes et ses yeux sans rivaux me paraissent incomparables ; il me semble que toute créature belle et admirée triomphe par la mort de ma pauvre amie.

Elle et C… exceptés, Mlle E… aussi, que j’ai vue quelquefois, je me dérobe à tout le monde, et vis dans une retraite absolue.

Un accident heureux ou malheureux de ma peinture, certains effets nouveaux remarqués, certains oiseaux entrevus dans les hauteurs du ciel, une visite où vous savez, quelques heures passées de loin en loin avec les chères enfans, puis les quelques incidens toujours tristes de ma vie domestique, tels sont uniquement et exactement les événemens notables de mes longues journées.

Je n’oublie pas Paris, mais il est bien loin ; c’est une rumeur que je n’entends distinctement que dans mes instants d’inquiétudes, comme celle de la mer, aux approches des coups de vent. En somme, j’habite une région assez élevée, très calme, dont toutes les clartés viennent d’en haut… »


Entre temps, et malgré l’activité de sa vie intérieure, Eugène, sans cesser de dessiner et de peindre, agite avec Beltrémieux force projets littéraires. La Revue Organique des départemens de l’Ouest va être fondée à La Rochelle par Emile. Eugène en expose complaisamment les tendances élevées de haute moralité politique, artistique et sociale.